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p. tannery. — l’éducation platonicienne.

qu’on veut en faire avant tout, c’est un soldat ; il faut développer ses forces corporelles, les exercer, les doubler par l’adresse, inculquer la confiance en soi-même, mère du courage, donner enfin toutes les qualités, toutes les vertus militaires, la discipline, la sobriété, l’habitude de la fatigue et du danger.

La gymnastique a donc, dans cet enseignement du premier degré, une prépondérance marquée ; on touche là une des différences les plus saillantes entre la société antique et celle de nos jours, entre les exigences du service militaire alors et aujourd’hui[1]. Soumis, dès l’âge le plus tendre, à un véritable entraînement, qui ne se ralentit un peu que pour redoubler de dix-sept à vingt ans[2], le soldat hellène passera sa vie sans interrompre ses exercices guerriers ; il sera toujours en alerte, sinon au combat. Ainsi s’étaient formés les héros de Marathon et de Platées, ainsi les vaillants compagnons de Xénophon.

La gymnastique comprenait un utile délassement, répondant au profond sentiment esthétique de la race grecque : dès le début, les enfants sont exercés à former des chœurs de danse ; mais la danse antique n’est jamais isolée du chant ; celui-ci est donc enseigné en même temps ; dès lors aussi, la mémoire devra retenir les poésies chantées en chœur ou en solo.

Au contraire, pour apprendre les lettres, pour enseigner à lire et à écrire, on attend l’âge de dix ans[3] ; de treize à seize ans, l’éducation musicale se complète ; on instruit l’enfant à jouer de la lyre et à s’en accompagner en chantant ; il apprend en même temps à connaître les poètes et les prosateurs. Si l’on fait abstraction de la direction morale que Platon prétend donner à ces études, le jeune homme devait donc arriver, à l’âge où nous avons quitté les bancs des lycées, muni d’une instruction littéraire exclusivement nationale, il est vrai, mais complète relativement à la société où il avait à figurer.

  1. Nous ne préjugeons pas ici un avenir peut-être prochain ; car, à vrai dire, l’éducation militaire dès l’enfance semble devoir, tôt ou tard, s’imposer comme la solution rationnelle des problèmes que soulève l’organisation de la défense du territoire, depuis que l’on y fait concourir tous les membres valides de la société. Mais, abstraction faite des révolutions qu’a subies l’art de la guerre, les exercices corporels ne reprendront sans doute jamais l’importance qu’ils avaient dans l’antiquité grecque, précisément parce que, désormais, dans l’état moderne, il n’y a plus de classe militaire spéciale, ou si l’on veut exprimer la même pensée sous une autre forme, parce que les armes ne sont plus un métier.
  2. Civitas, VII, 537 b : Οὗτος γὰρ ὁ χρόνος, ἐάντε δύο ἐάντε τρία ἔτη γίγνηται, ἀδύνατός τι ἄλλο πρᾶξαι.
  3. Leges, VII, 809 e : Εἰς μὲν γράμματα παιδί δεκέτει σχεδὸν ἐνιαυτοὶ τρεῖς, λύρας δὲ ἅψασθαι τρία μὲν ἔτη καὶ δέκα γεγονόσιν μέτριος ὁ χρόνος, ἐμμεῖναι δὲ ἕτερα τρία..