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qui est démontré, la croyance n’a pour objet ni un fait, ni une relation naturelle. Ce sera par persuasion. Il faudra qu’on vous livre les âmes. Vous leur ferez subir par la coutume cette lente et savante préparation à laquelle Pascal faisait allusion quand il disait : « Pliez l’automate, » ou encore : « Cela vous fera croire et abêtira. » Vous demanderez qu’elles soient dans une disposition particulière et vous signent en quelque sorte un blanc-seing. Mais ceci suppose qu’on soit déjà à demi d’accord avec vous : vous avez beau protester (p. 390) ; il y a là un cercle. Et puis, que répondrez-vous au sceptique s’il dit que l’âme, il le sait bien, est chose plastique, et que, à condition de s’y prendre à temps et comme il faut, on peut faire croire à n’importe qui tout ce qu’on veut ? Ne voyez-vous pas que c’est précisément la thèse qu’il soutient ? Enfin votre tentative peut réussir avec des esprits incultes, avec les âmes vierges des enfants qu’on peut diriger à sa guise par l’éducation. Essayez votre méthode sur des esprits plus fermes ou plus mûrs, qui aient déjà d’autres croyances, et vous verrez si l’évidence est pour eux ce qu’elle est pour vous, si la vérité en soi s’impose d’elle-même par sa vertu propre ! La conclusion de tout ceci, c’est que, quand on quitte le terrain solide de l’expérience et delà science, il faut renoncer à dogmatiser. Il y a des croyances légitimes, sans doute : vous avez le droit de préférer les unes aux autres ; mais cessez de parler d’objectivité et de vérité qui s’impose.

Cependant, malgré les incertitudes de ses définitions, M. Ollé-Laprune dogmatise. C’est la vérité en soi, la même pour tous, qu’il prétend atteindre par la foi. Comme le soleil luit pour tout le monde, la vérité brille pour tous les esprits : le rôle de la volonté consiste uniquement à diriger vers elle le regard de l’âme. Si donc on ne l’aperçoit pas, c’est que la volonté est rebelle ou mauvaise ? on est coupable de ne pas croire ou de se tromper ? la tolérance est un mal, une complicité, et il faut ériger l’intolérance en système ? Voilà la redoutable conséquence à laquelle M. Ollé-Laprune est conduit. Il faut lui rendre cette justice que, s’il ne répudie pas cette conclusion, il fait du moins les plus grands efforts pour retarder le moment où il la proclamera et pour atténuer l’horreur d’un tel aveu. Il énumère avec complaisance toutes les causes d’erreur qui diminuent la responsabilité ; il plaide les circonstances atténuantes ; il fait durer le plus qu’il peut le temps où il pourra garder son estime à ceux qui ne pensent pas comme lui. Mais enfin il succombe et n’admet pas qu’on puisse être athée de bonne foi. Ici, il faut citer : « L’athéisme ; et par là je n’entends ni l’absence de la notion de Dieu, ni une doctrine qui altère cette notion ou qui logiquement la détruit, mais j’entends la négation explicite, réfléchie, absolue, persistante de Dieu, l’athéisme est toujours coupable. » (P. 373.) En d’autres cas, même quand il croit l’erreur coupable, M. Ollé-Laprune pourra, « à la condition de ne pas donner aux mots leur sens plein et complet, honorer la sincérité et rendre hommage à la bonne foi de tel ou tel homme, dont il condamne énergiquement les négations ; » et il explique