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l. liard. — méthode et mathématique de descartes.

tres, extraire de ces différentes sciences ce qu’elles ont de commun, faire de ces éléments communs, isolés de toute matière spéciale, l’objet d’une science, qui sera aux mathématiques spéciales, arithmétique, géométrie, mécanique, astronomie, ce que le genre est aux espèces, voilà ce qu’a voulu Descartes. Son but, en réformant les mathématiques, n’était pas de constituer une géométrie nouvelle, mais d’instituer une mathématique universelle, traitant de l’ordre et des rapports en eux-mêmes, de la mesure et des proportions en elles-mêmes, abstraction faite des objets divers où cet ordre et ces rapports, cette mesure et ces proportions peuvent être réalisés. Cette science des objets les plus simples et les plus universels, requise par la méthode à l’entrée de toutes les autres sciences aux objets plus complexes et moins généraux, c’est l’algèbre spécieuse.


Mais cette mathématique universelle, Descartes n’a-t-il fait que l’entrevoir comme une exigence logique de sa méthode, ou l’a-t-il réalisée ? Son grand ouvrage mathématique, donné par lui au public en 1637, avec le Discours de la méthode, et présenté au même titre que la Dioptrique et les Météores, comme un essai de cette méthode, est intitulé Géométrie. Les trois livres qui le composent ont pour titre, l’un Des problèmes qu’on peut construire, n’y employant que des cercles et des lignes droites ; le second : De la nature des lignes courbes, et le troisième : De la construction des problèmes qui sont solides et plus que solides’, tous énoncés qui semblent se rapporter à l’une de ces mathématiques spéciales, auxquelles Descartes déclarait renoncer, pour se livrer tout entier à la recherche de la mathématique générale. L’œuvre ne répondrait-elle pas au dessein ? Ou bien Descartes, comme ces anciens qu’il blâme pourtant de l’avoir fait, nous aurait-il envié la connaissance de sa mathématique générale, pour nous en livrer seulement une des applications les plus importantes ? — Ce doute se dissipe à l’étude attentive de l’ouvrage.

Malgré le titre, malgré les apparences, ce n’est pas de géométrie à proprement parler, mais d’algèbre qu’il s’agit dans la Géométrie. Sur ce point, les indications de Descartes sont précieuses à recueillir. On sait que plus d’un lecteur avoua ne pas entendre la Géométrie. Descartes, loin de s’en étonner et de le regretter, l’avait prévu et s’en serait volontiers réjoui. L’obscurité de son livre était voulue et escomptée par lui : « J’appréhende, écrivait-il à Mersenne, en avril 1637, quelques jours avant la publication de l’ouvrage, qu’il ne se trouvera que fort peu de personnes qui l’entendront. » — « Je sais, lisons-nous de même dans une lettre à Plempius, que le nombre de ceux qui pourront entendre ma Géométrie sera fort petit, car