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ayant omis toutes les choses que je jugeais n’être pas inconnues aux autres, et ayant tâché de comprendre ou du moins de toucher plusieurs choses en peu de paroles, même toutes celles qui pourront jamais être trouvées dans cette science, elle ne demande pas seulement des lecteurs très savants dans toutes les choses qui jusqu’ici ont été connues dans la géométrie et dans l’algèbre, mais aussi des personnes très laborieuses, très ingénieuses et très attentives[1]. » Sa vraie pensée s’accuse, les précautions de son génie défiant se trahissent dans une lettre écrite à de Beaune, un an après l’apparition de l’ouvrage de 1637 : « J’ai omis, dans ma Géométrie, beaucoup de choses qui pourraient y être ajoutées pour la facilité de la pratique. Toutefois, je puis assurer que je n’ai rien omis qu’à dessein, excepté le cas de l’asymptote, que j’ai oublié. Mais j’avais prévu que certaines gens qui se vantent de savoir tout n’auraient pas manqué de dire que je n’avais rien écrit qu’ils n’eussent su auparavant, si je me fusse rendu assez intelligible pour eux, et je n’aurais pas eu le plaisir de voir l’incongruité de leurs objections. » — L’incongruité des objections qui lui sont faites, comme il l’avait prévu, lui donne occasion de préciser sa pensée et son dessein. Ainsi Roberval l’accuse de ne guère faire que répéter Viète. Descartes riposte dans une lettre à Mersenne : « Je commence par où Viète a fini[2], » faisant clairement entendre par là qu’il a pris l’algèbre au point où Viète l’avait laissée. Dans une autre lettre au même correspondant, il revendique avec plus de force encore l’originalité de ses découvertes et en marque mieux le caractère : « Et tant s’en faut que les choses que j’ai écrites puissent être aisément tirées de Viète, qu’au contraire, ce qui est cause que mon traité est difficile à entendre, c’est que j’ai tâché à n’y rien mettre que ce que j’ai cru n’avoir point été vu ni par lui ni par aucun autre, comme on peut voir, si l’on confère ce que j’ai écrit du nombre des racines qui sont en chaque équation, dans la page 372, qui est l’endroit où je commence à donner les règles de mon algèbre, avec ce que Viète en écrit à la fin de son livre De emendatione equationum, car on verra que je les détermine généralement en toute équotion, au lieu que lui n’en ayant donné que quelques exemples particuliers, dont il fait toutefois si grand état, qu’il a voulu conclure son livre par là, il a montré qu’il ne le pouvait déterminer en général, et ainsi j’ai commencé par où il avait achevé[3]. » Ainsi, déterminer généralement en toute équa-

  1. Ed. Cousin, t. VI, p. 336.
  2. Ed. Cousin, t. VII, p. 137.
  3. Let. à Mersenne, avril 1637, éd. Cousin, t. VI, p. 300. Cf. let. à Mersenne,13 mai 1638, éd. Cousin, t. VII, p. 157.