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Ainsi les opérations effectuées sur des droites se traduisent, en langage algébrique, par des monômes et des polynômes. Il en résulte que si. par ces opérations, on parvient à trouver deux expressions d’une même droite, en fonction des données et des inconnues d’un problème, elles pourront se mettre en équation, et que, réciproquement, toute équation algébrique sera susceptible de représenter les deux expressions d’une même droite.

Tels sont les principes qui permettent à Descartes de donner une théorie générale de la résolution graphique des équations. Grâce à la correspondance perpétuelle de l’algèbre et de la géométrie, l’intuition soutient le calcul abstrait en chacune de ses démarches ; une infinité de questions qui semblaient impénétrables s’ouvrent et se résolvent. Ainsi les problèmes plans se résolvent « en coupant d’un cercle une ligne droite ; » les problèmes solides, « en coupant d’un cercle une parabole ; » les problèmes d’un degré plus composé, « en coupant d’un cercle une ligne qui n’est que d’un degré plus composée que la parabole, » et « il ne faut que suivre la même voie pour construire tous ceux qui sont plus composés à l’infini, car, en matière de progression mathématique, lorsqu’on a les deux ou trois premiers termes, il n’est pas malaisé de trouver les autres[1] » La puissance de cette méthode de résolution est donc illimitée.

On ne saurait maintenant se méprendre sur la nature et la portée de la réforme mathématique de Descartes. Le but de l’alliance qu’il établit entre l’algèbre et la géométrie n’est pas de renouveler la géométrie, mais d’éclairer l’algèbre aux clartés de l’intuition géométrique. Ce qu’il se propose, c’est, en un mot, la résolution graphique des équations. Par une réciprocité inévitable, la géométrie recevra de ses services à l’algèbre une constitution nouvelle et des procédés plus puissants de découverte. Plus tard, lorsque, avec Newton, Leibniz, Bernouilli, Euler, l’analyse s’enrichira de nouvelles fonctions, lorsque, par suite, elle s’isolera de l’intuition géométrique pour se livrer uniquement à ses principes internes de développement, le sens véritable de la réforme cartésienne se perdra peu à peu. La géométrie analytique apparaîtra, non plus comme une conséquence, mais comme le but de l’œuvre mathématique de Descartes. Cette fausse perspective doit être redressée ; les choses doivent être remises dans l’ordre que prescrivait la méthode. Fidèle à cette méthode, Descartes a inauguré la réforme des sciences par la science des choses les plus simples de toutes, c’est-à-dire des rapports et des proportions en général, par la mathématique universelle, comme il l’appelait lui-même.

Louis Liard.
  1. Géom., liv. 3.