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aussi qu’elle éclate dès le premier jour, particulièrement quand l’aliénation des parents a coexisté avec l’acte de la génération ou de l’enfantement. Crichton en rapporte, d’après Greeding, un exemple bien frappant : « Une femme d’environ quarante ans, réellement folle, mais d’ailleurs bien portante, accoucha, le 20 janvier 1763, d’un enfant mâle qui fut aussitôt un fou furieux. Lorsqu’on l’apporta à notre asile, c’est-à-dire le 24 janvier, il avait dans les jambes et les bras une telle force que quatre femmes pouvaient à peine le tenir. Ces accès se terminaient par d’inexplicables éclats de rire ; ou bien l’enfant, dans un emportement de colère, brisait et déchirait tout ce qui était à sa portée, ses vêtements, ses couvertures, son lit… Nous n’osions pas le laisser seul, sans quoi il serait monté sur les bancs et sur les tables, ou même eût essayé de ramper dans les rues. Peu de temps après, quand les dents commencèrent à lui pousser, l’enfant mourut[1]. » Ici, la folie avait été transmise par la mère à l’enfant, par une sorte de communication directe, de la main à la main, pour ainsi dire. L’aliénation de la mère se continuait sans interruption, et avec des caractères analogues, dans l’agitation maniaque du fils.

L’hérédité morbide n’agit donc pas seulement à distance et comme par des effets à longue portée : son action peut être immédiate et instantanée. Ce qui retarde en général l’explosion du mal, ce sont les conditions particulières de la vie morale de l’enfant. La faiblesse même de l’intelligence enfantine est une garantie, une protection contre la folie. La première condition pour qu’une cause de destruction agisse, c’est qu’il y ait quelque chose à détruire. Où il n’y a rien, comme on dit, le roi perd ses droits. Par d’autres côtés cependant, la nature de l’enfant offre une proie facile à l’envahissement de la folie. Il y a, au milieu de tant de variétés pathologiques, deux formes très caractérisées, très distinctes d’aliénation mentale, la folie intellectuelle et la folie morale, l’une qui consiste essentiellement dans le désordre des idées et l’absurdité des croyances, l’autre dans l’altération des désirs et la perversité des actes. Or ce qui constitue la première, c’est l’absence des idées intermédiaires qui, dans l’état normal, viennent pour ainsi dire s’interposer entre la conception et la croyance, qui empêchent l’idée folle d’aboutir et de s’installer dans l’esprit, qui tout au moins la délogent, qui enfin rectifient les illusions et les hallucinations des sens. De même, ce qui caractérise la folie morale c’est l’absence de la volonté, c’est-à-dire du pouvoir modérateur qui, chez l’homme sain, se place entre

  1. Voyez Maudsley, op. cit., p. 258.