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g. compayré. — la folie chez l’enfant

à admettre l’existence de la folie chez le tout petit enfant. Vers la huitième ou la dixième année, les faits sont trop nombreux et trop caractéristiques pour qu’il soit possible de les nier. « Il n’existe pas, dit le Dr Morel, un médecin d’aliénés qui ne puisse citer de véritables perturbations intellectuelles chez les enfants de six à quinze ans[1]. » Six ans, ce serait donc la limite extrême en deçà de laquelle seulement l’enfant pourrait devenir fou. Les faits contredisent encore cette opinion et prouvent que l’âge de la folie doit être reculé jusqu’aux premiers commencements de la vie. Esquirol rappelle l’observation faite par le Dr Franck d’un maniaque de vingt-quatre mois[2]. Haslam parle d’une petite fille qui vers la troisième année fut atteinte d’aliénation, d’un garçon de deux ans qui, sans cause connue, fut pris d’agitation maniaque[3]. Stoll raconte l’histoire d’un enfant qui à la suite de la vaccination tomba dans la manie[4]. Nous aurons l’occasion de rapporter d’autres exemples analogues d’une folie tout aussi précoce. L’aliénation de l’intelligence peut donc suivre immédiatement et même accompagner son premier éveil. Ce n’est pas assez de dire que l’enfant peut devenir fou : la vérité, c’est que parfois il naît fou.

Rien de plus intelligible d’ailleurs, même à priori et à supposer qu’elle ne fût pas démontrée par l’expérience, que la possibilité de la folie chez l’enfant II suffit de considérer que le nouveau-né n’est pas un être entièrement neuf. Il a déjà un passé, celui de sa famille et de sa race. Il est l’héritier de tout un patrimoine de dispositions, d’aptitudes, de qualités et de défauts, patrimoine que lui ont fait les actions de ses ancêtres. Sa nature individuelle plonge par des racines profondes et cachées dans la nature commune de la famille à laquelle il appartient. Il peut donc y avoir une innéité de la folie, comme il y a une innéité de la raison. L’enfant peut venir au monde avec des prédispositions morbides, au moral comme au physique. Sans doute, le plus souvent, les germes maladifs de l’âme ne se développeront pas tout de suite ; ils couveront de longues années, ils resteront à l’état latent, jusqu’à ce qu’ils éclatent sous l’action des circonstances. Parfois la virtualité transmise à l’individu nouveau ne doit éclore qu’à un jour donné, a une date en quelque sorte fixée d’avance. Un homme se marie, devient fou à une certaine époque : son fils, né avant cette époque, aura un accès de folie qui sera comme l’éphéméride de celui de son père. Mais la folie héréditaire ne connaît pas toujours ces répits et ces lenteurs. Il arrive

  1. Morel, Traité des maladies mentales, p. 100.
  2. Esquirol, op. cit.
  3. Haslam, Observations on Madness. London., 1809.
  4. Voyez Annales médico-psychologiques, 1807, I, p. 329.