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impôts et de la tyrannie deviennent plus grands que les maux empêchés.

Dans les pays où, comme en Orient, la rapacité des monarques a été quelquefois jusqu’à prendre aux cultivateurs une si grande partie de leurs produits qu’il fallait ensuite leur vendre de quoi faire les semailles, on voit comment l’institution qui maintient l’ordre peut causer des malheurs plus grands que ceux qu’entraînerait le désordre. Nous en trouvons un exemple dans l’état de l’Égypte sous les Romains, qui super posèrent à la couche de fonctionnaires indigènes celle de leurs propres fonctionnaires, et firent des saignées aux ressources du pays non point pour les besoins de l’administration locale seulement, mais aussi pour ceux de l’administration impériale. Outre les impôts réguliers, ils y levaient des réquisitions pour nourrir et habiller les armées partout où elles étaient cantonnées ; ils ne cessaient de faire des demandes extraordinaires au peuple pour l’entretien des travaux publics et les agents subalternes. Des gens en charge se trouvaient tellement appauvris par ces exactions qu’ils « recherchaient des occupations déconsidérées ou devenaient les esclaves de personnes au pouvoir ; » les dons volontaires faits au gouvernement se convertissaient bientôt en contributions forcées, et ceux qui achetaient le privilège d’être exempts de ces extorsions n’avaient pas plus tôt payé les sommes qu’on leur demandait, qu’on foulait aux pieds leur immunité. Les calamités résultant du développement excessif de l’organisation politique en Gaule, durant la décadence de l’empire romain, étaient encore plus frappantes : « Les receveurs étaient si nombreux par rapport aux imposés, et le poids des taxes si énorme, que le travailleur succombait ; les plaines devenaient des déserts, et des bois poussaient où avait autrefois passé la charrue… Il était impossible de dénombrer les fonctionnaires qui s’abattaient sur chaque province et chaque ville… Le claquement du fouet et les cris des malheureux mis à la torture remplissaient les airs. On y mettait l’esclave fidèle pour le faire témoigner contre son maître, la femme pour la faire déposer contre son mari, le fils contre son père… Non satisfait du rendement de l’évolution des premiers agents du fisc, on en envoyait d’autres coup sur coup, qui grossissaient l’estimation, pour faire croire à leurs services ; par là les impôts allaient croissants. Pendant ce temps, le bétail disparaissait et les gens mouraient. Nonobstant, les survivants avaient à payer les impôts des morts. » Ce qui montre à quel point sous la domination romaine les profits se trouvaient dépassés par les dommages, c’est que « les peuples redoutaient l’ennemi moins que le collecteur des impôts, qu’ils passaient au premier pour échapper