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analyses. — rosenkranz. Von Magdeburg bis Königsberg.

qu’il faut lire dans le livre, fait voir son exaltation mystique d’alors.

L’école théologique de Halle, où Rosenkranz étudia après avoir quitté Berlin, était rationaliste. Si l’on suivait les cours avec assiduité et intérêt on en voyait aussi les côtés faibles, et entre étudiants on reproduisait souvent les luttes entre professeurs d’écoles diverses. Un de ses camarades, Schlaueh (c’était un pseudonyme ; le mot signifie outre et lui vint de la capacité, qu’il partageait avec Socrate, de boire indéfiniment sans jamais être ivre), avait un talent d’invention remarquable et amusait la bande joyeuse des commilitones avec ses voyages du bon Dieu en compagnie de Satan, pour aller à la recherche de la meilleure dogmatique. Satan se plaint d’être bien maltraité par les rationalistes et cite à l’appui les passages des Institutions dogmatiques du professeur Wegscheider qui le concernaient. Pour s’assurer de l’état de la dogmatique dans les universités allemandes, ils vont de l’une à l’autre, déguisés en étudiants ; le soir, ils comparent les notes prises aux cours des divers professeurs. Satan croit avoir remarqué que non seulement on ne croit plus en lui, mais que Dieu le Père n’est guère mieux partagé.

Puis Schlaueh mimait les deux professeurs Weigsscheider et Tholuck, représentant, l’un l’école rationaliste, l’autre l’école supra-naturaliste. Quand enfin Satan demande â Dieu s’il ne ferait pas bien de leur apparaître pour les convaincre de son existence : « Le premier, répond Dieu, déclarerait ton apparition personnelle une illusion des sens ; quant au second, il ferait avec toi comme Luther, il te lancerait son encrier à la tète. »

Rosenkranz fut ramené à la question du diable par ses études sur Jacques Böhme : « Je n’avais jamais cru en un diable personnel ; » l’homme, en vertu de sa liberté, peut bien lui-même produire les œuvres du démon. Inspiré par l’écrit où Lucien se moque des dieux de la Grèce, il résolut d’écrire des leçons du diable sur lui-même ; il ne les a plus ; « le diable les a sans doute emportées » ; mais il nous donne en deux pages un exemple de la façon dont il avait traité son sujet. Satan s’y plaint surtout que Hegel, qu’il est allé entendre lui-même à Berlin, ait eu l’audace de ne voir en lui qu’une simple idée, qu’il appelle avec emphase la négativité. « L’argent que lui rapportera ce cours, il le destine à ses vieux amis, les jésuites, qui, avec de l’argent, soumettront le monde. » Il est temps de voir comment Rosenkranz fut gagné à la doctrine de Hegel. Ce fut l’effet des leçons de Hinrichs, le seul professeur hégélien de l’université de Halle. Car celle-ci regardait cette philosophie comme un non-sens pervertissant l’esprit et l’âme. Certains cours de Hinrichs étaient peu suivis ; il fallait pourtant que le professeur sût captiver ses six ou sept auditeurs, puisque, moins un qui tomba malade, pas un seul ne déserta le cours, malgré le peu de confortable de la salle où professait Hinrichs. Dans les premiers temps Rosenkranz ne trouvera pas mieux à Koenigsberg ; mais il oppose à ce sombre tableau les changements survenus depuis : une salle bien chauffée par deux grands poêles, des doubles fenêtres, des becs de gaz avec des globes en verre dépoli, des rideaux, des porte-manteaux ; nous nous arrêtons devant l’énumé-