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analyses. — rosenkranz. Von Magdeburg bis Königsberg.

pressions de sa première jeunesse. Lors du siège de Magdebourg, un des fils Favreau, cette famille merveilleuse, comme il l’appelle avec raison, fit entendre ces paroles : « Pour nous, le monde est en ce moment comme fermé par une clôture de planches (Für uns ist die Welt mit Brettern vernagelt). » Ces mots firent faire à l’enfant des réflexions sur l’espace infini.

Une autre fois, il va voir un musée d’histoire naturelle de passage dans la ville. Outre une foule d’animaux curieux, il y avait aussi des monstres conservés dans l’esprit-de-vin. Ils firent sur le jeune homme une impression profonde. Comment la nature, avec ses lois divines, peut-elle errer ainsi ? Tout à coup, il s’élance dehors comme un fou, et, sur le point de rentrer à la maison, fait volte-face, court sur les bords de l’Elbe, où ses pieds heurtent les têtes de mort d’un cimetière abandonné. Il en ramasse une et se livre à des considérations pareilles à celles d’Hamlet, dans la fameuse scène de Shakespeare.

Nous avons vu ailleurs les discussions sur le diable ; l’existence de Dieu fut l’objet de controverses non moins ardentes.

C’était au moment où, après sa promotion au doctorat, il venait de s’établir à Halle comme Privatdocent de philosophie. Dans la même maison que lui habitait Lafontaine, un romancier fort lu en son temps. Il avait assisté autrefois à la bataille de Valmy ; témoin de l’effet électrique produit sur les Français par la Marseillaise, il n’avait plus perdu le souvenir de ce chant patriotique, qui devait se retrouver jusque sur ses lèvres expirantes. Un soir qu’ils avaient vivement discuté sur Dieu, Lafontaine en rejetant les preuves, en conformité avec la théorie kantienne, Rosenkranz cherchant au moins à maintenir debout la preuve ontologique, ils se retirèrent fort tard. Rosenkranz était déjà couché, quand il entendit frapper à sa porte. Quoiqu’en chemise, il tira le verrou et vit son voisin, une bougie allumée à la main. « Mon jeune ami, lui dit-il, je viens de soutenir avec ardeur qu’on ne peut prouver l’existence de Dieu ; mais soyez bien assuré que je crois en lui et que j-e viens à l’instant même de lui adresser mes plus ferventes prières. Je ne puis aller dormir sans vous avoir dit cela. Bonne nuit ! » Et des larmes coulaient le long de ses joues. Quelle scène pour un peintre ! ajoute notre philosophe.

Rosenkranz n’eût pas été philosophe si cette question de Dieu ou de l’absolu ne l’avait pas occupé souvent. Il convient que vers cette époque un grand changement s’était opéré en lui. Par l’étude de la grande logique de Hegel et par l’étude de Spinoza qui suivit, il se sentit réellement dans son élément.

« Je ne pouvais douter que l’absolu se révèle dans la nature et dans l’histoire ? » La doctrine de Hegel sur la liaison du uni avec l’infini, « le ce monde ci et de l’autre, du divin avec L’homme, avait agi depuis longtemps sur moi. L’étude de Spinoza finit par tirer le dernier voile. Pour lui, la félicité n’est pas la récompense de la vertu, mais la vertu elle-même. Cette idée fit sur moi une impression profonde.