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« Elle ne peut donc nous venir du dehors ; nul Dieu ne peut nous la donner. Elle est l’état qui accompagne la connaissance du vrai, la contemplation du beau, l’accomplissement du bien. Ce qu’on se représente en dehors de là est une fantasmagorie tout à fait indéterminée, dans laquelle s’insinue plus ou moins un trait sensible, comme le prouve suffisamment la description que les diverses religions ont faite de la félicité dans l’autre monde. Celle-ci ne peut être une extase voluptueuse dans un océan de lumière, avec des anges musiciens, mais uniquement la vie dans la vérité, la beauté et la liberté.

« S’il en est ainsi, une vie après la mort, ce qu’on appelle l’immortalité, me semblait quelque chose de fort indifférent, même de superflu. Je ne pouvais m’en faire une idée claire. Ce n’était qu’une continuation de cette vie, seulement débarrassée de tous les maux inhérents à la condition des êtres finis. Ainsi mon père, homme vraiment pieux, voulait retrouver sa femme.

« Si le bien, par cela seul qu’il est le bien, est heureux en soi, et si c’est là la félicité, il s’ensuit que l’état contraire est attaché immédiatement au mal et qu’il n’est nullement besoin d’un enfer pour le punir. L’essence de Dieu étant dans la vérité et la liberté, ou, comme l’appelle la religion chrétienne, dans l’amour, par le mal nous nous séparons de lui. Le sentiment de cette séparation est une damnation, auprès de la douleur infinie de laquelle disparaît tout tourment sensible, tel que l’imagination nous le représente dans les images de l’enfer.

« La croyance à l’immortalité me sembla alors un obstacle à la réalisation de la vraie liberté, car je crus apercevoir que les hommes, par la supposition d’un au-delà, débarrassaient ce monde-ci de tout le sérieux, de la vraie estime du présent, de l’attention à la nature de leurs actions. Il me sembla surtout que la croyance à l’immortalité contribuait beaucoup à répandre la superstition. Avec quelle cruauté on a sacrifié des animaux, des esclaves, des femmes sur la tombe d’hommes, pour qu’ils trouvassent une société au delà du sépulcre ! Comme la croyance superstitieuse aux fantômes, aux esprits s’appuie sur la foi en l’immortalité ! Sans elle, la superstition des messes de morts, la tyrannie des prêtres serait-elle possible ? Pour un Etat despotique, cette croyance a-t-elle une autre valeur que celle de la contrainte physique ? On veut dompter les masses par le terrorisme ou le quiétisme de l’avenir après la mort ?

« Le croyant se représente qu’après la mort il arrivera à une contemplation immédiate de la divinité ; quand il parle du ciel, il le localise. Cela me sembla impossible, surtout avec nos connaissances astronomiques actuelles. Comment puis-je avoir en face de moi dans un espace fini et comme une personne finie Dieu, l’esprit absolu, le sujet absolu, présent partout. Et qu’est-ce qui m’empêche de vivre ici, et dès maintenant en union avec lui ? Il n’y a que le mal en moi qui m’éloigne, qui m’exclut de lui ; mais par ! e vrai, le beau, le bien je vis en lui. Pourquoi la terre serait-elle inférieure à d’autres astres ? Pourquoi les hom-