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inférieure ; elle doit céder le pas à d’autres procédés plus directs et plus capables de nous mettre en rapport avec la vérité. La science se meut dans la sphère des idées abstraites, et il en est de la philosophie comme de la plus abstraite des sciences, des mathématiques.

2o L’image et la comparaison sont toujours prises, on ne doit jamais l’oublier, dans un ordre d’idées différent de celui qu’on étudie ou que l’on considère. Donc il ne faut jamais qu’on croie avoir fait comprendre réellement un objet, sa nature, ses lois, etc., parce qu’on aura surpris dans un objet analogue ou voisin, quelque affinité avec lui, ou une ressemblance même réelle et profonde. Ainsi l’esprit ne sera bien compris que par l’esprit ; ses lois seront toujours les lois de l’esprit. Toute métaphore, toute image ou comparaison tirée de la nature ou des lois du monde sensible ne peut avoir la prétention d’en donner une idée exacte et vraie, de remplacer l’analyse lien faite d’un phénomène de l’esprit, par la comparaison avec un phénomène d’ordre différent. Toute induction, toute déduction qui s’appuie sur la base fragile d’une de ces comparaisons est fausse ; elle Test au moins en partie. À mesure que le raisonnement s’avance, s’appuyant sur elle, il s’égare de plus en plus dans cette voie, et il peut conduire aux conséquences les plus étranges, quelquefois les plus absurdes. Que d’exemples tirés de l’histoire de la philosophie viennent confirmer cette règle ! L’opuscule de M. Eucken suffirait pour le prouver de la façon la plus évidente.

3o Quelle est ici la règle la plus générale ? Car nous ne pouvons entrer dans le détail des règles particulières. La voici :

Les images et les comparaisons, comme les signes en général, doivent être au service de la pensée, non la pensée au service des images et des figures. Cette règle si simple, si évidente qu’elle semble banale, combien de fois elle est enfreinte, même par les plus grands penseurs ! Combien il serait facile de montrer que souvent eux-mêmes sont esclaves non seulement des mots dont ils se servent, mais des figures et des comparaisons auxquelles ils ont recours, je ne dis pas pour parer ni pour faire comprendre, mais pour former leurs idées et leur donner un corps, puis ensuite pour établir, constituer et édifier leurs doctrines ! On a dit, de la mythologie, qu’elle s’explique par un abus de langage (Max Müller). Mais la philosophie, qui n’a rien à voir avec les mythes si ce n’est pour les expliquer, ne s’est-elle pas elle-même créé une autre mythologie et fabriqué, dans sa langue, d’autres idoles ? Qu’on examine l’histoire de la philosophie à ce point de vue, comme fait M. Eucken, surtout à la fin de son travail, on verra combien les questions les plus graves ont été souvent tranchées par des métaphores et des comparaisons qui se sont perpétuées pendant des siècles et dont le règne aujourd’hui est loin d’être fini. La critique contemporaine, qui souvent s’égare sur des sujets je ne dis pas futiles, mais d’une médiocre ou moindre importance, devrait bien donner à celui-ci une attention plus sérieuse. Pour finir comme nous avons commencé, nous engageons chaque école et dans chaque école chaque penseur à y