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mains soumis à la juridiction morale. Le principe suprême de la morale, celui à qui sont subordonnés les principes particuliers, devrait, paraît-il, jaillir de la réalité même, pour être vrai et solide, et pour que ce ne soit pas un lien extérieur qui rattache l’activité humaine dans ses formes variées au principe qui se manifeste comme loi.

Mais, si tous les philosophes ont plus ou moins reconnu la connexion entre la morale comme science et la conduite morale comme fait, d’où vient que les opinions sur le principe suprême soient si différentes ? C’est qu’il y a une intime connexion entre la science théorique et la science pratique, et que des diverses interprétations de la réalité sont nées les diverses conceptions du principe moral, placé à la base de la science de l’activité humaine.

Voilà l’idée principale de la brochure de M. Sergi. L’auteur, après l’avoir exposée, examine la façon dont les diverses écoles se sont approchées du but et ont rattaché la morale à la réalité, et jusqu’à quel point elles ont su trouver dans cette réalité le principe de la morale. D’après lui, les philosophes qui plus que les autres ont su tenir compte de la réalité sont les philosophes anglais de l’école utilitaire, dont les doctrines ont effectué une importante évolution de Bentham à Spencer. Les trois grandes figures qui représentent trois phases de la morale utilitaire sont Bentham, Stuart Mill et Spencer ; ils développent successivement la doctrine qui commence par l’exclusivisme et finit par la conciliation, débute par l’égoïsme pur et se développe dans l’altruisme, s’appuie d’abord sur l’induction et devient déductive, se fonde sur l’empirisme et aspire à l’idéal, idéal qui, pour elle, n’est ni une abstraction ni un principe à priori. M. Sergi examine les théories de Bentham et de Mill ; il passe ensuite à la doctrine de Spencer, qu’il expose plus longuement. C’est celle qu’il préfère. « La doctrine morale de Spencer est la plus développée et la plus complète parmi celles de l’école utilitaire ; elle exprime la dernière évolution, au moment actuel, de la doctrine qui se fonde sur l’expérience ; entre toutes les doctrines passées et présentes, c’est celle qui a le plus de connexions avec la réalité, telle que nous la font connaître les sciences actuelles, principalement la biologie. Comme on l’a vu par l’exposition de la doctrine, le principe qui fait la base de la moralité est déduit des lois nécessaires de l’expérience, et tous les principes relatifs et inférieurs ont leur racine primitive dans la biologie, et, plus loin encore, dans les lois physiques. » Sans doute on pourra faire des modifications aux théories évolutionnistes, mais « le principe général me semble solidement posé et inexpugnable. »

M. Sergi admet, et cela découle bien de son système, l’efficacité pratique de la morale évolutionniste, qui pourra contribuer à établir l’équilibre social et à satisfaire les tendances individuelles et collectives.

Fr. P.