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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/102

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sion sur lui et se représenter en lui, telles qu’elles sont dans la réalité ; c’est ce que soutient la théorie empirique. Mais si, à l’origine, on ne suppose que des sensations, on se met dans l’impossibilité absolue d’expliquer qu’il y ait entre ces sensations des rapports ou des lois ; or ces lois sont justement l’objet de la science. Bien plus : il n’y a de science digne de ce nom que si les lois qu’elle découvre sont nécessaires et universelles ; mais comment, de simples sensations données dans l’expérience, tirer des relations universelles et nécessaires ? L’empirisme a toujours échoué dans cette tâche.

En d’autres termes, la science, Comme l’avait montré David Hume, exige des principes synthétiques à priori. Il faut qu’ils soient synthétiques, car autrement l’esprit, se bornant à analyser ses propres notions, ne sortirait pas de lui-même et ne pourrait rien affirmer de la réalité. Il faut qu’ils soient à priori, car autrement ils n’auraient plus de nécessité. Or, dans la doctrine des idées innées, les principes sont bien à priori, mais ils ne sont pas synthétiques ; dans l’empirisme, ils sont bien synthétiques, mais ils ne sont pas à priori.

En présence de cette difficulté, on comprend que Hume se soit laissé aller au scepticisme. Cependant la science existe, et nul scepticisme ne saurait prévaloir entre elle. Il doit donc y avoir une autre explication.

Kant la trouve en abandonnant le principe commun aux deux doctrines précédentes. Toutes deux s’accordaient à distinguer nettement le sujet et l’objet, l’esprit et les choses, comme deux réalités indépendantes et hétérogènes. Suivant Kant, il n’y a pas deux réalités, mais une seule ; les choses ne sont pas hors de l’esprit ; elles sont, telles du moins que nous les pouvons connaître, l’œuvre de l’esprit, qui les construit à l’aide des matériaux fournis par l’expérience.

On sait comment Kant arrive à cette conclusion. Les mathématiques reposent sur les jugements synthétiques à priori, qui ne sont possible s que parce que la pensée impose aux phénomènes les formes de l’espace et du temps. À la base des sciences physiques, il y a aussi des jugements synthétiques à priori, parce que les phénomènes n’entrent dans la pensée qu’à la condition de se soumettre aux catégories.

Une telle doctrine semble bien mériter le nom d’idéalisme, et Kant ne s’oppose pas absolument à ce qu’on le lui donne. Pourtant, à deux reprises, il réfute l’idéalisme tel qu’on l’entend d’ordinaire. C’est ici un des points discutés de la philosophie kantienne ; c’est aussi un des plus propres à bien marquer la position particulière que le philosophe a voulu prendre. Ajoutons qu’il y a quelque difficulté à bien entendre sa pensée, car on a pu dire avec quelque apparence de raison, que la réfutation de l’idéalisme contenue dans la Critique de la raison pure était en contradiction avec celle des Prolégomènes. Dans ce dernier ouvrage, Kant réfute l’idéalisme en s’appuyant sur ce fait que nous avons conscience d’être en relation avec des choses en soi ; dans la Réfutation de l’idéalisme, nous ne sommes en relation qu’avec des phénomènes. Voici comment M. Watson résout la difficulté :