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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/120

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demi-ton. En général, chaque fois que je me mets au piano, j’imagine une suite de sons, je leur assigne une tonalité, cette phrase me dis-je doit-être en ut majeur. Expérience faite, chaque fois que je ne tombe pas juste je découvre avoir chanté intérieurement la mélodie dans les tons de si naturel, ou de si bémol, d’ut dièze ou de naturel.

Je me suis demandé mainte fois le pourquoi de mon erreur, et surtout la cause qui empêchait mon erreur d’excéder certaines limites.

Je l’ai cru trouver, je l’ai trouvé puis-je dire, dans la pratique instinctive d’une méthode dont je faisais autrefois un usage réfléchi. Je savais les limites en deçà et au delà desquelles ma voix ne pouvait s’étendre. Aussitôt que j’étendais un orchestre, je chantais dans le même ton et par la nature des efforts musculaires qu’il me fallait remplir. J’arrivais à en apprécier la tonalité. Là encore chaque fois que je me trompais, l’erreur était d’un ton soit au-dessus soit au-dessous du ton du morceau.

L’appréciation des efforts que doivent accomplir les muscles du larynx qui varient selon la hauteur et l’intensité du son à rendre est donc possible : elle l’est dans tous les cas où l’on chante haut en s’aidant du chant extérieur. Elle l’est aussi dans les cas où l’on a simplement recours au chant intérieur. S’il en était autrement les expériences dont j’ai parlé en premier lieu resteraient impossibles.

Ce que j’avance n’infirme pas la théorie de M. Egger, lorsqu’il prétend que, d’ordinaire la parole intérieure ne s’accompagne d’aucun mouvement des organes vocaux. Je crois avec lui que de ce mouvement, nous n’avons pas d’ordinaire la plus faible perception. Toutefois il est à distinguer entre deux espèces de chants intérieurs. Tantôt je chante mentalement un air en ayant égard à la seule succession mélodique des notes qui le composent. Tantôt je chante, toujours intérieurement mais avec la préoccupation de fixer avec le plus de précision possible la tonalité du morceau. Ici le chant intérieur s’accompagne de ce que l’on pourrait appeler un effort à l’état faible de l’organe vocal.

Ces indications ne sauraient contredire la thèse soutenue par M. Hérault tout au contraire, elle la corroborent peut-être même y ajoutent-elles.

Je profite maintenant de l’occasion qui m’est offert pour répondre à une question posée par la Revue philosophique (livraison de juin 1879) sous les auspices de Fechner. « Certaines personnes associent l’idée de certaines couleurs à celle de certains sons, exemple l’ut majeur et le blanc, l’ut mineur et le gris cendré. » Cette association demande Fechner présente-t-elle quelque régularité ?

Je n’en sais rien. Je connais une personne qui associe l’idée de certains sons à celle de « certains jours de la semaine. » Cette association qui remonte à un enfance n’a cessé de la dominer malgré elle : elle la juge déraisonnable et n’en peut expliquer la cause. Si je ne me trompe, on trouverait dans l’une des lois psychologiques connues la source de cette association, dont la bizarrerie apparente n’excède ni plus ni moins certaines associations plus fréquentes mais non moins bizarres pour qui en ignore ou en a oublié l’origine.