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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/121

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correspondance

Revenons à l’exemple donné par M. Fechner. S’agit-il d’associer le son d’ut majeur à une couleur, le son d’ut mineur au gris cendré ? Je déclare cette association inintelligible, le son ut étant le même dans tous les cas, que l’on joue en ut mineur ou en ut majeur. L’association doit porter sur des tons et non sur des sons.

La correction que je propose étant accepté, rien n’est plus naturel que d’associer le ton d’ut majeur ou blanc, le ton d’ut mineur ou gris cendré, et d’une manière générale, les tons majeurs à des couleurs, les tons mineurs à des nuances.

La nuance est parfois un mélange de plusieurs couleurs : la sensation qu’elle éveille participe de ce mélange ; elle est indistincte, elle se laisse malaisément reproduire par l’imagination. On distingue les couleurs de mémoire ; il n’en est pas ainsi des nuances. Pour apprécier deux nuances d’une même couleur, il faut les regarder en quelque sorte simultanément. La couleur sera objet de perception distinct, la nuance de perception confuse.

Ceci posé, les images éveillées par l’audition des tons majeurs correspondent à des perceptions nettes le contraire arrive si l’on entend un morceau exécuté dans un ton mineur. Pourquoi ?

Si l’on admet avec Spinoza que l’âme dans la tristesse est dans un étal de connaissance confuse, tandis qu’au contraire dans la gaieté ou tout au moins dans la sérénité, elle possède d’elle-même une conscience plus claire, l’explication demandée s’offrira d’elle-même. Le mode mineur porte à la tristesse, ou tout au moins à la mélancolie. Le mode majeur est parfois mélancolique : chose remarquable, toute mélodie d’un caractère rêveur s’écrira le plus souvent sur une clef armée de bémols que sur une clef armée de dièzes. Dans la rêverie l’âme s’abandonne, se détend ; les sons en bémol sont toujours plus bas que les sons naturels correspondants. Voilà pourquoi l’association du ton de la bémol au gris bleu n’offrirait rien d’étrange et s’expliquerait à la façon des autres.

En tout cas, s’il s’agit des tons l’explication est possible, s’il s’agit de sons, elle ne l’est pas. Il n’y a point de la absolu écrivait M. Hérault et nous sommes de son avis. Or c’est par ses relations avec le son qu’une note mérite le nom qu’on lui attache. Prenez deux pianos construits à cinquante ans de distance : Si deux personnes veulent jour ensemble un morceau concertant, l’une des deux sera contrainte à transposer. Enfin, si malgré ces réserves, l’association était fréquents chez certaines personnes entre les sons ut, ré, de leur diapason, (chacun peut avoir le sien et certaines couleurs) on pourrait enregistrer cette curiosité psychologique et même s’en amuser. Dans l’état actuelle de la science, on ne saurait assigner à cette association aucune loi spéciale.

Lionel Dauriac.