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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/129

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BOUILLIER. — responsabilité morale dans le rêve

ches de Reid sur l’entendement humain, se réfléchit la même de la veille dans le rêve et des pensées du jour dans celles de la nuit. C’est toujours un même fonds, quoique avec des variations, avec des changements de scène à l’infini.

De là tout le prétendu merveilleux des songes ; de là, à travers leurs incohérences et leurs folies, quelques éclairs de sens et de sagesse, certaines vraisemblances morales, et quelquefois une sorte de suite et de logique ; de là aussi des rencontres et des coïncidences extraordinaires, comme par une sorte de double vue, avec tel ou tel événement futur, ou à distance ; de là enfin, au milieu de tant d’autres songes trompeurs, quelques-uns qui se vérifient, qui rencontrent juste, qui sortent par la porte de corne et non par la porte d’ivoire, comme disaient les poètes anciens. Apparitions de tel ou tel personnage, vivant ou sorti du tombeau, d’un ami, d’un protecteur, d’un ennemi, d’un fantôme menaçant, inspirations salutaires, avertissements prophétiques, voix entendues, tout cela ne vient pas de Jupiter ou du ciel, mais de l’âme elle-même, des pensées qui l’agitaient, de ses craintes et de ses espérances de la veille.

Aussi, sans rien admettre de miraculeux, on peut ajouter foi à quelques-uns de ces rêves, extraordinaires et prophétiques, que des historiens ou des biographes ont attribués à leurs héros, soit à des chefs d’empire et à de grands capitaines, soit à des saints, à des âmes mystiques, pieuses et repenties. Nous n’avons aucune difficulté à croire que des grands capitaines se soient vus victorieux dans le combat du lendemain, que des âmes ardentes et pieuses se soient vues transportées au ciel, que d’autres aient entendu des voix pour les détourner de tel ou tel parti, pour leur indiquer tel ou tel but, pour mettre fin à leurs hésitations et à leurs incertitudes. Ces rêves ne faisaient que traduire en images, et sous une forme plus vive, ce qui se passait dans leur âme, leurs espérances, leurs aspirations, leurs craintes et leurs doutes, le désir du repos dans la foi. On trouve des rêves de ce genre dans les historiens sacrés et profanes, dans la Bible, dans Xénophon, dans Plutarque, dans Tite-Live, dans Tacite, dans Valère Maxime[1], dans les vies d’hommes illustres ou de pieux personnages, de saints et de saintes exaltés par la foi, le repentir et l’amour divin. Il est naturel, par exemple, que Caius Gracchus rêve que, comme son frère, il mourra de mort violente, ou que Calpurnie, pleine d’appréhension, voie en songe César assassiné et veuille l’empêcher de se rendre le lendemain au sénat. Il n’est pas moins naturel qu’un grand capitaine, Germanicus, ait un songe, d’après Tacite, qui

  1. lib.  I, cap.  vii, De somniis.