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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/128

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sommeil et les songes, a multiplié les exemples anciens et modernes, et mis toutes les ressources de son érudition au profit de cette croyance. De nos jours, un esprit bien autrement doué du sens critique, mais enclin à une sorte de mysticisme, Charles Nodier, dans ses Contes de la veillée et surtout dans celui qui est intitulé Le pays des rêves, cite un certain nombre de faits merveilleux, mais réels, suivant lui, pour prouver que l’âme dans le sommeil y voit plus clair que pendant la veille, parce qu’elle est plus dégagée des liens et de la contagion du corps.

Un psychologue comme Jouffroy ne pouvait tomber dans ces erreurs superstitieuses ou mystiques, et douer l’âme dans le sommeil de vertus supérieures de lucidité et de clairvoyance. Il n’a pas dit sans doute que l’esprit gagnât quelque chose dans le sommeil, mais il n’a pas craint d’affirmer qu’il ne perdait rien. « L’esprit dans le sommeil marche et se développe, dit-il, absolument comme pendant la veille. » Telle est la thèse qu’il a pour but de démontrer dans son étude sur le sommeil. Par un grand nombre de faits bien observés et de délicates analyses, il met parfaitement en lumière l’activité persistante de l’esprit, que nous admettons avec lui, mais il ne réussit nullement à prouver que cette activité, que l’attention et la vigilance de l’âme ne se sont relâchées en rien, que l’âme n’a pas cessé de commander aux sens et qu’elle les éveille à son gré. Il est cependant bien obligé de reconnaître lui-même que l’esprit n’a plus le pouvoir de diriger les démarches de la pensée ; or de cela seul ne suit-il pas que dans le sommeil il ne se comporte pas comme dans la veille ? Il n’est pas possible de le nier sans supposer l’âme indépendante du corps, sans prétendre l’affranchir, par un spiritualisme tout abstrait, du lien qui l’unit aux organes.

Quant à nous, nous n’avons aucune sorte de superstition à l’égard du rêve ; nous ne croyons pas qu’à l’engourdissement du corps corresponde une plus grande activité ou même une activité égale de l’âme. Si nous donnons quelque importance au rêve, si nous pensons qu’au point de vue moral il est digne de quelque attention, c’est uniquement parce qu’il est une image de ce qui s’est produit en nous pendant le jour, et non parce qu’il dépasse la veille par aucun don qui lui soit propre.

Pendant la veille, selon les âges, les sexes, les conditions, les tempéraments et les humeurs de chacun, la plus grande diversité existe dans ces séries ininterrompues de pensées et d’images qui constituent la vie intellectuelle et morale de chacun de nous. Cette diversité, qui est le sujet d’un des chapitres les plus intéressants, par l’abondance et la finesse des observations psychologiques et morales, des Recher-