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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/131

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BOUILLIER. — responsabilité morale dans le rêve

est excellente. Les romanciers[1] nous mettent quelquefois dans la confidence des rêves de leurs personnages, se conforment tous avec. cette loi de vraisemblance.

Cette remarque d’ailleurs de la conformité des rêves avec les pensées, les occupations et les préoccupations de la veille n’a rien de nouveau et ne date pas du sage Wolmar. À quelque occupation, dit Lucrèce, que chacun de nous soit attaché, quelles que soient les choses qui nous ont longtemps détenus, quel que soit le sujet sur lequel se soit fixé davantage notre esprit, tout cela, nous le voyons presque toujours repasser dans nos songes[2]. De même, selon Pétrone, les songes dont les ombres qui voltigent se jouent de nous, ne sont pas envoyés du fond des sanctuaires, ni du haut du ciel par les dieux, mais chacun se les fait à soi-même[3]. Remarquons encore une autre analogie entre ces deux états qui partagent notre vie. Le champ du rêve est toujours proportionnel à celui de la veille. L’animal aussi rêve ; le chien aboie et fait mouvoir ses pattes en dormant. Mais combien sans nul doute ses rêves doivent être restreints et pauvres en comparaison de ceux de l’homme ? Quelle différence d’ailleurs entre les hommes eux-mêmes, non pas seulement au regard de la diversité, mais de l’étendue, de la richesse des conceptions et des images du rêve, selon que l’esprit est plus ou moins cultivé, selon qu’ils sont plus ou moins mêlés au mouvement du monde, à la politique, aux affaires, etc. !

  1. On trouve des rêves qui témoignent d’une grande pénétration morale et psychologique dans Richardson, dans Walter Scott et dans Dickens. Quelques romanciers français peuvent rivaliser avec eux pour l’invention des songes. Je citerai les trois songes que M. J. Sandeau attribue simultanément à trois des principaux personnages de Mademoiselle La Seiglière, d’après l’impression différente d’un même événement inattendu. Il y a aussi un songe qui correspond parfaitement à la situation d’esprit du personnage dans Jean de la Roche de G. Sand. Il serait facile de multiplier ces exemples de rêves, depuis le songe d’Athalie jusqu’aux songes les plus vulgaires, imaginés d’après la même loi psychologique.
  2. Et quo quisque fere studio defunctus inbæret,
    Aut quibus in rebus multum sumus ante morati,
    Atque in ea ratione magis contenta fuit mens,
    In somnis eadem plerumque videmur obire.

    (liv. cap 4, v.  963.)
  3. Somnia quæ mentes ludunt volitantibus umbris,
    Non delubra Deum nec ab æthere numina mittunt
    Sed sibi quisque facit. Nam cum prostrata sopore
    Urget membra quies et mens sine pondere ludit,
    Quidquid luce fuit tenebris agit.