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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/132

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III

Si le rêve emprunte ses éléments, sa physionomie et sa teinte générale à ce que nous pensons, à ce que nous sommes pendant la veille, il revêtira un caractère de pureté ou d’impureté, de malice ou de bonté, de moralité ou d’immoralité, il offrira de nous de nobles ou de basses images, dont la responsabilité, pour le bien comme pour le mal, devra remonter jusqu’à l’homme éveillé.

Plusieurs philosophes et théologiens ont signalé ce rapport moral entre la veille et le rêve. Avec quelles vives couleurs Platon, au début du livre IX de la République, peint le contraste des rêves du méchant et de l’homme de bien ! Des imaginations noires et monstrueuses assaillent le sommeil de celui qui est en proie aux passions et qui a laissé prédominer en lui les parties inférieures de l’âme. Mais les visions du sommeil elles-mêmes n’ont rien qui ne soit serein et pur dans une âme en qui la raison a triomphé.

À prendre à la lettre un passage de la Morale à Nicomaque où il est dit que le sommeil est la suspension de toutes les facultés qui font l’âme bonne ou mauvaise, il semblerait d’abord qu’Aristote n’est pas de l’avis de Platon. Mais il faut tenir compte de la restriction qu’il fait aussitôt lui-même : « À moins qu’on ne suppose, ajoute-t-il, que, même en cet état, il y ait encore quelques légers mouvements qui aillent jusqu’à elle, et qu’ainsi les songes d’un homme d’une nature distinguée doivent être meilleurs que ceux du vulgaire[1]. » Cette supposition de mouvements allant jusqu’à l’âme pendant le sommeil, nous la faisons, non pas seulement d’après l’expérience, mais d’après tout le Traité des rêves d’Aristote lui-même, où il est démontré que le rêve emprunte ses éléments à la veille, d’où il sait qu’il doit y avoir entre les rêves des bons et des méchants cette différence morale remarquée par Platon.

Parmi ces rêves d’élite, ces rêves des sages qui portent l’empreinte de leur sagesse, plaçons ceux de Descartes, d’après la confidence qu’il en fait dans une lettre à la princesse Élisabeth. « Le plus philosophe du monde ne saurait, dit-il, s’empêcher d’avoir de mauvais rêves quand son tempérament l’y dispose. Toutefois l’expérience fait voir que, si l’on a eu souvent quelque pensée, quand on a eu l’esprit en liberté, elle revient encore après, quelque indisposi-

  1. Liv. Ier, chap.  xi.