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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/143

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BOUILLIER. — responsabilité morale dans le rêve

n’est pas l’homme endormi, nous l’accordons, qui, selon ce qu’il s’imagine faire en rêvant, mérite l’éloge ou le blâme. Mais qui donc est l’auteur de ces habitudes dont les effets automatiques sont en jeu dans les songes ? N’en avons-nous pas la responsabilité, soit en bien, soit en mal, responsabilité indirecte, médiate, et par une sorte de réfraction, si elle n’est pas directe et immédiate ? De là un recours mental à exercer du rêve contre la veille ; le mal qui se révèle parfois si naïvement dans certains rêves nous renvoie en effet, comme la copie à l’original, au mal des pensées et des actions de la veille. Entre l’homme éveillé et l’homme endormi, la solidarité n’est sans doute pas absolue, à cause de la suspension plus ou moins complète de la liberté ; mais incontestablement, comme nous l’avons vu, il existe un lien et une sorte de complicité. C’est bien la même âme, facile à reconnaître, avec ses pensées et ses penchants de la veille. Le mal dans le rêve est donc la marque, sinon toujours d’un mal actuel, au moins de quelque prédisposition mauvaise dans les pensées et les actions de la veille. Ainsi il y aurait un profit moral à s’étudier soi-même non seulement pendant la veille, mais aussi pendant le sommeil.

VII

Tel est l’avis d’un moraliste ingénieux et délicat auteur d’une lettre sur le bon usage des rêves, publiée dans le Spectateur anglais. « Pythagore, dit-il, donnait un fort bon avis à ses disciples, lorsqu’il leur conseillait d’examiner, avant de s’endormir, ce qu’ils avaient fait pendant le jour, afin de se mettre en état de poursuivre le lendemain tout ce qui serait vertueux et de prévenir les mauvaises habitudes qui se contractent facilement. Pour moi, s’il m’est permis d’ajouter quelque chose à l’avis de ce philosophe, je voudrais que mon disciple considérât le matin, avant de se lever, tout ce qui lui est venu dans l’esprit pendant le sommeil et qu’il s’en acquittât avec le même soin. Cet examen du jeu de son imagination ne pourrait que lui être fort utile, parce que les circonstances où l’on se trouve pendant le sommeil favorisent d’ordinaire nos inclinations bonnes ou mauvaises et nous donnent occasion de les pousser en idée jusqu’au bout, en sorte qu’on découvre alors à plein son tempérament et qu’on voit de quel côté il se tourne à l’abri de la gêne où le mettent les accidents de la vie[1]. »

Cet examen de conscience au matin, ce noctuaire, suivant l’ex-

  1. Le Spectateur ou le Socrate moderne, traduit de l’anglais, 6 vol.  in-8o, août 1741. Voir, dans le 6e vol. , le 20e et le 26e discours.