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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/144

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pression de ce correspondant du Spectateur, de tout ce que nous avons fait pendant la nuit, viendrait compléter et éclairer d’une nouvelle lumière l’examen de conscience de ce que nous avons fait pendant la journée ; plus d’un endroit faible, plus ou moins voilé et dissimulé, pendant la veille, y paraîtrait plus au jour, non sans profit pour la connaissance et le bon gouvernement de nous-même. Celui, dit encore le Spectateur, qui abandonne son ami ou tue son ennemi dans un rêve, doit se mettre en garde contre la propension à la vengeance ou à l’ingratitude.

Nous venons donc, en cherchant, pour ainsi dire, à nous tracer une route à travers les ombres, à aboutir cette conclusion, que les rêves ne sont point absolument indifférents au point de vue moral, qu’ils ne sont pas tous sans nul degré de responsabilité pour celui qui rêve. Nous n’osons fonder directement cette responsabilité sur la liberté que nous croyons survivre à la veille, à cause de la difficulté de marquer sa place dans tous les cas et de la difficulté plus grande d’en déterminer les limites. Combien de motifs qui, pendant la veille, eussent été peut-être déterminants, ont perdu leur force, ou même n’ont peut-être nullement apparu pour retenir le délinquant en songe !

Mais, au défaut de la liberté, nous faisons porter cette responsabilité sur la veille elle-même, dont le rêve, nous le répétons, n’est qu’une image. Nulle au regard des magistrats, nulle au regard d’autrui, elle demeure, même en dépit de confidences indiscrètes, circonscrite dans les limites de la conscience. Les rêves peuvent bien donner lieu à des procès de tendance, mais seulement faits par nous-mêmes et contre nous-mêmes, procès de tendance tout intérieurs, et semblables à celui de Denys contre Marsyas. Ainsi, pour la médecine de l’âme, comme pour celle du corps, le rêve contient-il des enseignements que celui qui cherche à se connaître lui-même doit, nous le répétons, mettre à profit et ne pas légèrement dédaigner.

Telle est l’opinion moyenne à laquelle il semble que nous ne devions nous arrêter, à égale distance de ces deux opinions extrêmes dont l’une nie entièrement et l’autre exagère la responsabilité du rêve. À moins de méconnaître cette vérité fondamentale, si solidement établie par tous les psychologues, et que nous avons rappelée en commençant, que le sommeil uni au rêve n’est pas l’image de la mort, mais plutôt de la vie, et que le-rêve est un enfant de la veille, il ne nous parait pas possible d’affranchir celui qui rêve de cette responsabilité morale purement subjective dans les limites que nous avons essayé de déterminer.

Francisque Bouillier,
De l’Institut,