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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/148

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conceptions simples, qu’elles ne sont pas senties par l’individu, qu’elles ne produisent en lui aucun retentissement affectif, qu’elles n’entrent pas dans sa substance, mais demeurent comme un apport étranger, — c’est pour cela qu’elles sont sans action et, en pratique, comme si elles n’existaient pas. Le pouvoir d’agir de l’individu est tronqué et incomplet. La tendance des sentiments et des passions à se traduire en actes est doublement forte : par elle-même et parce qu’il n’y a rien au-dessus d’elle qui l’enraye et lui fasse contre-poids : et comme c’est un caractère des sentiments d’aller droit au but, à la manière des réflexes, d’avoir une adaptation en un seul sens, unilatérale (au contraire de l’adaptation rationnelle, qui est multilatérale), les désirs, nés promptement, immédiatement satisfaits, laissent la place libre à d’autres, analogues ou opposés, au gré des variations perpétuelles de l’individu. Il n’y a plus que des caprices, tout au plus des velléités, une ébauche informe de volition[1].

Ce fait que le désir va dans une seule direction et tend à se depenser sans retard n’explique pas cependant l’instabilité de l’’hystérique ni son absence de volonté. Si un désir toujours satisfait renaît toujours, il y a stabilité. La prédominance de la vie affective n’exclut pas nécessairement la volonté : une passion intense, stable, consentie, est la base même de toutes les volontés énergiques. On la trouve chez les grands ambitieux, chez le martyr inébranlable dans sa foi, chez le Peau-Rouge narguant ses ennemis au milieu des tourments. Il faut donc chercher plus profondément la cause de cette instabilité chez l’hystérique, et cette cause ne peut être qu’un état de l’individualité, c’est-à-dire, en fin de compte, de l’organisation. Nous appelons une volonté ferme celle dont le but, quelle qu’en soit la nature, est fixe. Que les circonstances changent, les moyens changent ; il se fait des adaptations successives au nouveau milieu ; mais le centre vers lequel tout converge ne change pas. Sa stabilité traduit la permanence du caractère dans l’individu. Si le même but reste choisi, agréé, c’est qu’au fond l’individu reste le même. Supposons au contraire un organisme à fonctions instables, dont l’unité — qui n’est qu’un consensus — est sans cesse défaite et refaite sur un nouveau plan, suivant la variation brusque des fonctions qui la composent ; il est clair qu’en pareil cas le choix peut à peine naître, ne peut durer, et qu’il n’y a plus que des velléités et des caprices. C’est ce qui advient chez l’hystérique. L’instabilité est un fait. Sa cause très probable est dans

  1. Notons en passant combien il est nécessaire en psychologie de tenir compte de la gradation ascendante des phénomènes. La volition n’est pas un état net et tranché, qui existe ou n’existe pas ; il y a des ébauches et des essais.