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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/160

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Cependant ce pouvoir de résistance, si faible qu’il soit, n’est pas égal à zéro ; il est une dernière survivance de la réaction individuelle extrêmement appauvrie : il est au seuil de l’anéantissement, mais sans le dépasser. L’illusion de ce faible pouvoir d’arrêt doit répondre à quelque état physiologique également précaire. En somme, l’état de somnambulisme naturel ou provoqué peut être donné à juste titre comme un anéantissement de la volonté. Les cas d’exceptions sont rares, obscurs ; ils apportent toutefois leur part d’enseignement. Ils montrent que la volition n’est pas une quantité invariable, mais qu’elle décroit au point qu’on peut également soutenir qu’elle est et qu’elle n’est pas.

Je mentionnerai en passant un fait qui rentre à peine dans la pathologie de la volonté, mais qui fournit matière à réflexion. On peut donner à certains sujets hypnotisés l’ordre d’exécuter une action, plus tard, à un moment déterminé de la journée. Revenus à eux, ils exécutent cet ordre à l’heure prescrite, en déclarant d’ordinaire « qu’ils ne savent pas pourquoi[1]. » Dans quelques cas plus curieux, ces personnes donnent des raisons spécieuses pour expliquer leur conduite, pour justifier cet acte qui ne vient pas de leur spontanéité, mais leur est imposé, sans qu’elles le sachent. Pour en citer un exemple : Un jeune homme commande vers dix heures du soir à sa maîtresse hypnotisée de s’en aller à trois heures du matin ; puis il la rend à l’état normal. Vers cette heure, elle s’éveille, fait ses préparatifs pour partir et quoique il la prie de rester, elle trouve des motifs pour excuser son départ à cette heure indue. « Notre illusion du libre arbitre, dit Spinoza, n’est que l’ignorance des motifs qui nous font agir. » Ce fait et ses analogues me viennent-ils pas à l’appui ?

IV

Après avoir examiné les divers types morbides, voyons si l’on peut découvrir une loi qui résume la pathologie de la volonté et jette quelque jour sur l’état normal.

À titre de fait, la volition seule existe, c’est-à-dire un choix suivi d’actes. Pour qu’elle se produise, certaines conditions sont nécessaires. Un manque d’impulsion ou d’arrêt, une exagération de l’activité automatique, d’une tendance, d’un désir, une idée fixe, l’empêchent d’être pendant un instant, une heure, un jour, une période

  1. Un article de M. Ch. Richet sur ce sujet paraîtra dans le prochain numéro de la Revue.