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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/177

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RIBOT. — l’anéantissement de la volonté

sistibles au contraire, c’est l’impulsion qui s’exagère et la coordination qui s’affaiblit.

Un état subjectif, dont nous n’avons encore rien dit, le sentiment de l’effort, qui accompagne souvent l’exercice de la volonté, s’explique aussi dans l’hypothèse précédente. Le sentiment de l’effort musculaire a été étudié par M. William James d’une manière si approfondie et si rigoureuse[1] qu’il n’y a qu’à rappeler ses conclusions. Ii a montré que le sentiment de l’énergie musculaire déployée dans un acte quelconque est « une sensation afférente complexe, qui vient des muscles contractés, des ligaments tendus, des articulations comprimées, de la poitrine fixée, de la glotte fermée, du sourcil froncé, des mâchoires serrées, etc. » Il a discuté pied à pied, en s’appuyant sur l’expérience, l’opinion qui en fait une sensation efférente, liée à la décharge motrice, coïncidant avec le courant de sortie de l’énergie nerveuse. Il a montré notamment, après Ferrier et d’autres, comment dans les cas de paralysie, si on conserve le sentiment de l’effort, bien qu’on ne puisse à aucun degré remuer le membre paralysé, c’est parce que les conditions de la conscience de l’effort continuent d’exister, le malade remuant le membre ou l’organe du côté opposé.

M. W. James distingue avec raison l’effort musculaire de l’effort volitionnel, qui, lui, n’implique dans beaucoup de cas aucun mouvement immédiat ou rien qu’une énergie musculaire extrêmement faible. Pour lui emprunter un de ses exemples : l’effort de l’homme qui après une longue hésitation, prend le parti de mettre de l’arsenic dans le verre de sa femme. Tout le monde connaît d’ailleurs par sa propre expérience cette état de lutte intérieure. — Ici, nous nous séparons à regret de l’auteur, qui place cet effort dans une région à part. Pour nous, il ne nous paraît différer de l’autre qu’en un point : ses conditions physiologiques sont mal connues, et l’on ne peut hasarder que des conjectures.

Il y a deux types de cet effort volitionnel : l’un qui consiste à arrêter les mouvements de l’instinct, de la passion, de l’habitude ; l’autre à surmonter la mollesse, la torpeur, la timidité ; l’un est un effort à résultat négatif, l’autre un effort à résultat positif ; l’un produit un arrêt, l’autre une impulsion. Ces deux types peuvent eux-mêmes se ramener à une formule unique : il y a effort quand la volition suit la ligne de la plus grande résistance. Cet effort volitionnel n’a jamais lieu quand l’impulsion (ou l’arrêt) et le choix coïncident, quand nos

  1. The Feeling of Effort, in-{4o, Boston, 1880, traduit presque en entier dans la Critique philosophique, année 1880, et analysé par M. Delbœuf dans la Revue philosophique, t.  XII, p. 513.