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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/182

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une fin en soi, et qu’il est abominable de le faire servir comme d’un moyen pour construire la fortune d’un particulier ou même la fortune publique ; c’est ne rien dire autre chose, sinon que l’homme se place, par privilège, dans la sphère du droit, et qu’il est le seul être juridique qu’il y ait au monde. Ces propositions, quelle qu’en soit la portée, ne nous sont d’aucun secours pour exécuter le travail dont il s’agit, pour constituer rationnellement la société.

Cependant l’école que nous prenons à partie tente de faire un pas en avant. Du droit en général elle déduit les droits particuliers, ces droits négatifs ou libertés élémentaires que l’on connaît, et elle se persuade que par là elle fonde politiquement quelque chose. Nous pensons que c’est se faire illusion, car il n’est pas aujourd’hui une doctrine sociale, acceptât-elle, sous les réserves qui s’imposent, la tradition de l’intraitable absolutisme de Hobbes, ou relevât-elle le drapeau anti-révolutionnaire de J. de Maistre, qui refuse de porter sur son programme ces mêmes droits que l’on proclame : la liberté individuelle, la liberté du travail, le droit de propriété, la tolérance religieuse. On affirme la liberté ou le droit pour chacun de disposer de sa personne comme il l’entend ; c’est fort bien, mais il faut dire nettement les choses. Mettra-t-on les ressources de l’État au service des fantaisies individuelles ? ou le droit en question n’est il que l’octroi dérisoire, fait à celui qui ne sait où il trouvera le pain de la journée, d’une faculté qu’il doit abdiquer au plus vite ? Chacun est libre de travailler sous les conditions qu’il lui plaît d’accepter ; mais faut-il entendre que celui auquel ne seront offertes que des conditions inadmissibles sera nourri et entretenu aux frais du Trésor, ou qu’il devra subir l’inacceptable, s’il ne veut mourir de faim ? À tous le droit de réclamer le prix de leur travail et d’en user à leur gré. C’est un principe d’équité indiscutable ; mais, encore une fois, il n’est pas une école de philosophie sociale, depuis le Collectivisme de K. Marx jusqu’à la Politique tirée de l’Écriture sainte, qui n’en tombe d’accord ; nous réclamons de nouveaux éclaircissements. Et d’abord, puisque chacun doit jouir du fruit de son travail, nous voudrions savoir quel sera, sur la planète, dans le monde du travail, la répartition des tâches ? Quels sont ceux à qui échoiront en partage les travaux pénibles qui paraissent l’effet d’une malédiction lancée sur l’espèce humaine ? Quels sont ceux qui auront la satisfaction de ne connaître que les nobles travaux intellectuels et, pendant leur carrière, seront honorés comme des hommes s’élevant au-dessus de la foule ? À chacun selon son travail ; mais cela est banal et d’une élasticité qui se prête aux régimes économiques les plus étrangers à la justice. Il est hors de doute par exemple que le planteur applique le