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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/188

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faux que la société n’ait qu’à se croiser les bras ; la moralisation du peuple est lune de ses fonctions essentielles. Outre l’instruction qu’elle lui doit, parce que c’est d’elle seule qu’il peut le recevoir, elle est tenue de créer à l’être moral un milieu sain et fortifiant, composé principalement d’institutions de justice et d’une atmosphère d’honnêteté environnant les hautes régions pour se répandre de là sur toute la nation. Au reste, deux lâchetés sociales naissent de la foi métaphysique au libre arbitre : la disposition à se montrer impitoyable pour quiconque a failli, et une absolue insouciance à l’égard des intelligences qui demandent de l’aide. Le redressement de cette erreur trace à l’État ses devoirs.

3o Toutes les pensées de l’homme ont un retentissement dans sa sensibilité : qu’il voie, qu’il prévoie, qu’il se souvienne, il souffre ou il se réjouit. Si les causes de joie sont multipliées pour lui, en revanche il est de tous les êtres le plus complètement organisé pour souffrir ; il souffre dans ses membres, dans ses affections et dans sa dignité ; il souffre de ses maux, des maux des siens, des maux de toute l’humanité. Une certaine quantité de joie lui est nécessaire pour vivre ; si ses douleurs morales excèdent ses forces, alors, en même temps que son sang s’appauvrit et que son cœur s’hypertrophie, il subit d’irrémédiables altérations dans ses facultés : il devient mauvais, et son œil louche ne reflète plus aucune intelligence. Il y a certes dans la créature humaine, si impressionnable, quelque chose de plus qu’une force de travail ; la contrister sans ménagement est impie.

4o L’homme sait aimer, et il souffre des maux d’autrui. Cette aptitude est assurément le meilleur de nous-mêmes ; c’est la noble inclination de sympathie, cette manifestation de la sensibilité qui, à cause de la hauteur morale où elle nous porte et parce qu’elle est plutôt active que passive, veut être mise à part des autres faits sensibles. L’homme verse des larmes sur des maux qui ne sont pas les siens ; il n’est heureux que si, autour de lui, les autres ne manquent pas de leur part de bonheur. Il est partagé entre deux instincts : l’amour de soi et l’amour des autres. Mais l’un est robuste et va se fortifiant tous les jours, comme tout instinct inscrit dans la chair ; l’autre est un sentiment délicat, qui a besoin pour subsister de se soutenir sur les plus hautes intuitions de la pensée ; il pâlit peu à peu et ne tarde pas à s’évanouir dans toute intelligence affaissée sur elle-même. Il appartient à l’État éducateur de tenir en équilibre ses deux propensions antithétiques et de ne pas laisser la dernière s’atrophier. Il est nécessaire qu’il l’entretienne vivace et sache l’utiliser, se persuadant bien que c’est une force indispensable. Qu’elle s’éteigne dans la