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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/189

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JOLY. — les origines du droit

majorité des consciences, ainsi que cela arrive malheureusement, qu’elle laisse dominer sans contre-poids le zèle de l’intérêt propre ou l’égoïsme, la mésintelligence est partout ; les pièces da la machine sociale frottent durement les unes contre les autres ; elle ne va que par sauts et soubresauts.

Pourquoi les théoriciens du droit ont-ils négligé de ranger la sympathie parmi les faits de l’âme humaine d’où dérive le droit ? C’est une omission qui ne se justifie pas. Cicéron lui accorde ce rang qu’on ne peut lui contester : dans le livre où il traite des origines du droit, il déclare que si les hommes restaient fidèles à leur nature et mettaient leurs sentiments d’accord avec le mot du poète : Rien de ce qui est de l’homme ne m’est étranger, le droit serait toujours respecté. L’auteur du discours De l’inégalité parmi les hommes, après avoir rapporté cette belle parole de Javénal :

                  Mollissima corda
Humano generi dere se natara fatetur
Quæ lacrymas dedit

poursuit en disant : « Les hommes n’eussent jamais été que des monstres, si la nature ne leur eût donné la pitié à l’appui de la raison ; de cette seule qualité découlent toutes les vertus sociales. »

Pensée très juste, avec cette réserve que la pitié et la raison se prennent au même endroit dans l’âme de l’homme. On ne peut contester que, si l’on n’aime pas, il est des fenêtres de l’esprit qui demeurent obstinément fermées. Si nous n’éprouvons aucune affection pour nos semblables, et surtout pour ceux que le destin place au-dessous de nous, notre intérêt nous crèvera infailliblement les yeux, et les plus impérieuses obligations nous échapperont : qui n’aime pas ne peut être strictement juste. L’histoire nous en fournit des exemples : dans les temps ou dans les pays qui admettent des castes, on voit les hommes des classes privilégiées ressentir vivement l’injure faite à l’un d’eux ; mais, qu’on foule et pressure ceux qui sont relégués dans les dernières couches, ils le souffrent avec une placidité parfaite ; ils le trouvent tout naturel.

Il est incontestable que nous sommes étroitement unis les uns aux autres par cette solidarité du cœur naturelle qu’on appelle la sympathie, à la condition qu’elle n’ait pas été étouffée par l’implacable égoïsme. Il s’ensuit que, si des violences injustes et la méconnaissance des droits les plus authentiques déterminent quelque part de la souffrance, non seulement toute une nation est frappée de malaise, mais le mal se répercute jusqu’en des contrées lointaines et atteint