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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/190

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principalement ceux des hommes qui, ayant le plus d’âme, ont conservé intègres leurs attaches avec toute l’humanité. Cette loi de notre nature réclame que l’exacte justice, et non une justice d’à-peu-près, règne sur la terre, puisque autrement la somme de bonheur mise à la portée de la famille humaine est diminuée dans la mesure des iniquités que les législations tolèrent ou sanctionnent elles-mêmes.

5° Nous avons pris dans la description de la nature l’homme et nous avons exposé celles de ses aptitudes dont nous avions à montrer le haut intérêt social ; il nous reste à parler de la dernière des sources du droit, de celle que découvre l’inspection des faits économiques.

Si la société représentait simplement une réunion de personnes exemptes de besoins, ou trouvant en dehors du pacte social les moyens d’y satisfaire ; si ces personnes ne s’étaient rapprochées, que pour participer de compagnie à un voyage d’agrément et de peu de durée, elles pourraient admettre sans difficulté, comme règle commune de conduite, le droit à toutes les libertés, sous la seule réserve de ne pas entraver la liberté des autres. Ici, point de conflits sur des questions vitales, indépendance réciproque des activités individuelles. — La théorie métaphysique des droits naturels conviendrait encore parfaitement à des seigneurs vivant sur leurs terres et n’ayant entre eux de contact que s’il leur plaisait d’engager des parties de chasse, d’organiser des tournois ou d’entreprendre des courses aventureuses. Mais un voyage ou une juxtaposition de barons n’est nullement l’image de la vie qu’il nous faut vivre. L’agrément n’en est pas le but ; ceux qui y participent n’ont pas tous une fortune toute faite, capable de faire face aux nécessités occurrentes ; ils ne sont pas des forces collatérales indépendantes les unes des autres. La société enveloppe tout notre être : c’est en elles que nous nous mouvons et que nous vivons ; c’est par la place qui nous y est faite, qu’il est décidé de la part qu’il nous faut prendre à la collaboration générale et du destin qui fera de nous un homme ou une brute.

Il faut bien comprendre la solidarité ou, pour créer un mot qui nous semble d’une plus rigoureuse exactitude, l’innectivité des énergies sociales. La vie individuelle, au sein de l’État, est une chose complexe, dont les fils multiples s’enchevêtrent dans toute la masse. Sitôt mises en présence, les existences diverses se lient entre elles par les relations qu’elles projettent de toutes parts, relations du travail et du capital, de la consommation et de la production, de la propriété et du loyer, de la distribution des emplois et des charges