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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/195

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JOLY. — les origines du droit

pas une bête, qu’il ne soit pas un banni de la société des intelligences, cela est raisonnable : c’est un fait d’observation qu’on ne contestera pas. Or nous touchons ici le fond de l’idée de devoir, dont on fait tant de mystère ; on ne trouvera rien au delà.

Est-ce que nous ramenons d’après cela le devoir à l’intérêt ? Oui et non. Le monde moral se couronne du rayonnement de la raison, et toute la moralité de l’homme consiste à se préoccuper persévéramment de son propre bien, à tourner à son profit tout ce qui arrive, mais en tant qu’il est un être raisonnable : c’est la part d’intérêt que contient la carrière morale. Cependant cette sollicitude intéressée, que les plus sages portent au progrès de la raison en eux, parvenue à son plus haut point de développement, finit par consumer l’égoïsme et se métamorphoser en dévouement au bien commun : on est d’autant plus raisonnable en effet, on est et on vit d’autant plus, qu’on perd sa personnalité dans le noble souci des destinées générales de l’humanité ; si l’intérêt prélude à la sagesse, les pensées et les résolutions inspirées par l’impersonnelle raison lui donnent son dernier achèvement.

Si nous voulons entendre la nature du droit, notre meilleur parti est encore de descendre du ciel sur la terre. Le droit, fait individuel, ne se tire pas du devoir ; droit et devoir sont deux faits contemporains, qui s’engendrent l’un et l’autre de : facultés que nous avons de penser, de parler, d’aimer et de vouloir. Quant au droit dont s’intéressent les peuples, il est le raisonnable prenant possession de la chose publique.

L’ordre social est à instituer, comment s’ÿ prendre ? Écartons toute idée qui sente la mysticité, et plaçons-nous ingénuement au niveau du sens commun. Les constructeurs d’instruments aratoires, pour renouveler l’outillage agricole, ne se sont pas demandé si quelque part, au delà de l’observable, ils ne découvriraient pas la charrue idéale, de manière à n’avoir plus qu’à la réaliser avec la hache et le marteau. Pour perfectionner cet instrument, ils se sont bornés à examiner de quelle densité est le sol qu’il faut défoncer et quelle résistance offrent le bois et le fer qu’ils avaient à employer. La tâche législatrice ne diffère pas essentiellement de celle qui a pour but de fabriquer un outil ou une machine, lorsqu’on connaît les matériaux dont on dispose et les effets utiles qu’on veut produire. Or les matériaux mis à la portée du philosophe d’État sont les besoins et les aptitudes de l’homme, puis les lois économiques ; le but qu’il poursuit est de créer dans la nation la plus grande somme de liberté et de bonheur. Qu’il exécute donc, en conséquence, la construction qu’il a entreprise, ou du moins, puisque le temps en