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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/203

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ANALYSES.c. darwin. Rôle des vers de terre.

simplicité. Chaque adaptation d’un être vivant à une mode d’existence déterminée n’est plus seulement une merveille à admirer ; c’est un problème à résoudre. Cette étude, à vrai dire, c’est celle de l’histoire naturelle tout entière. »

Ici se place un brillant tableau où, parcourant les grandes divisions du règne animal, l’auteur signale en chacune des formes dominantes des êtres vivants l’effet des conditions de leur existence. Chaque type est fait pour ainsi dire par ces conditions. C’est à elles qu’il faut attribuer non seulement les variations de détail qu’on appelle seules d’ordinaire des adaptations, mais les traits essentiels du type, « dus aussi à une adaptation antérieure dont les effets ont été transmis d’ancêtres plus ou moins éloignés à leur descendance. » Il en résulte que les caractères dus aux adaptations les plus anciennes doivent être et sont en effet les plus répandus. Et comme c’est précisément le degré de généralité d’un caractère que lui donne sa valeur méthodique (les plus généraux ont reçu de Cuvier le nom de dominateurs) leur ordre de subordination n’est que leur ordre d’ancienneté. « Les classifications dont la sécheresse était jadis légendaire deviennent ainsi toutes palpitantes d’un intérêt historique, » car elles nous racontent la série des conditions dont le règne animal est l’œuvre et le témoin.

Faut-il excepter l’homme de la généralité de ces lois ? En aucune manière. C’est aux sciences naturelles ainsi renouvelées que nous devons demander, dit M. Perrier, « une notion exacte et scientifique de la place de l’homme dans la nature. » Quelque émotion que puisse causer la doctrine de l’évolution appliquée au monde moral, et de quelque gravité que soit la secousse imprimée par elle à l’édifice des croyances, elle doit être acceptée avec confiance, parce qu’elle est vraie et que la vérité ne peut être funeste. Si elle exige, en transformant les croyances, une transformation de l’ordre social, c’est une perspective qu’il faut envisager résolument. Les sciences naturelles s’imposent ainsi à l’attention même de l’homme d’État. « Il faut suivre attentivement leurs progrès, mesurer la portée de leurs découvertes, étudier leur influence actuelle ou possible sur les croyances et les idées répandues et s’efforcer de construire un édifice nouveau d’autant plus vite que les bases de l’ancien paraissent plus sérieusement menacées. »

Ces déclarations étaient à recueillir. Elles ont une portée considérable non seulement parce qu’elles viennent d’un naturaliste à qui ses travaux[1] et sa situation au Muséum assurent l’un des premiers rangs parmi les savants français de sa génération, mais surtout parce que ce naturaliste n’est pas suspect d’enthousiasme irréfléchi pour la doctrine de l’évolution et qu’il défendait hier encore ces mêmes « croyances » contre elle. Les scrupules honorables qui le retenaient paraissent céder enfin devant la force des preuves accumulées ; il laisse tomber les bar-

  1. L’un de ces travaux, l’étude sur l’organisation des vers, a été jugé admirable par Darwin, p. 11.