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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/22

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qui a le don de persuader les cœurs, alors même que l’esprit n’est pas convaincu.

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« Après les dix-huit mesures de la période précédente, l’allégresse, exprimée par la flûte et les premiers violons, annonce le rétablissement de la paix, qui se confirme dans la période suivante par le concert unanime des mêmes expressions et de la même joie[1]. »

Il est difficile de décrire avec plus d’esprit et de clarté le drame joué par l’orchestre de la symphonie, et d’animer d’une vie plus intense les acteurs qui le représentent rien qu’au moyen de leur timbre propre, de leur voix sans paroles soumise aux lois musicales. Je n’ignore pas les objections que l’on élève contre ce genre d’interprétation ; je les examinerai tout à l’heure. Je dois constater auparavant que "cette méthode n’a point passé comme un artifice de circonstance. Elle a duré ; elle s’est agrandie, réglée, perfectionnée. Près d’un demi-siècle après l’essai qu’en avait fait de Momigny, elle a reparu avec un éclat singulier sous la plume incisive et ardente de Berlioz. C’est en l’appliquant que l’auteur du livre intitulé À travers chants a écrit cette étude critique sur les symphonies de Beethoven, que personne n’a encore égalée et où il s’est surpassé lui-même. Il n’est pas question, on le devine, de copier ici les quarante-six pages que remplit cet admirable commentaire des neuf symphonies du maître. Obligé de me borner et de choisir, je vais placer sous les yeux du lecteur quelques fragments de l’analyse qu’a faite Berlioz de la cinquième, en ut mineur, d’abord parce que le critique ne s’est jamais montré aussi remarquablement pénétrant, aussi habile psychologue, et ensuite parce que j’ai pu vérifier dans une audition récente la justesse du plus grand nombre de ses explications.

« La symphonie en ut mineur — dit Berlioz — nous paraît émaner directement et uniquement du génie de Beethoven, c’est sa pensée intime qu’il y va développer ; ses douleurs secrètes, ses colères concentrées, ses rêveries pleines d’un accablement si triste, ses visions nocturnes, ses élans d’enthousiasme en fourniront le sujet ; et les formes de la mélodie, de l’harmonie, du rythme et de l’instrumentation s’y montreront aussi essentiellement individuelles et neuves que douées de puissance et de noblesse.

« Le premier morceau est consacré à la peinture des sentiments

  1. Voir le Nouveau manuel de musique vocale et instrumentale de l’Encyclopédie Roret, seconde partie, t.  III, p. 279 à 295.