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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/238

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Non seulement elles ont cette amnésie partielle ; mais encore elles peuvent donner à leur moi des formes qui sont différentes des formes réelles ; croire, par exemple, que leur moi est un soldat, un prêtre, une petite fille, un lapin ; et alors elles s’imaginent exister avec des formes de soldat, de prêtre, de petite fille, de lapin.

C’est ce que j’ai appelé plus haut l’objectivation des types : cela signifie amnésie de la personnalité avec une personnalité nouvelle.

Endormies et soumises à certaines influences, A… et B… oublient qui elles sont : leur âge, leurs vêtements, leur sexe, leur situation sociale, leur nationalité, le lieu et l’heure où elle vivent. Tout cela a disparu. Il ne reste plus dans l’intelligence qu’une seule image, qu’une seule conscience : c’est la conscience et l’image de l’être nouveau qui apparaît dans leur imagination.

Elles ont perdu la notion de leur ancienne existence. Elles vivent, parlent, pensent, absolument comme le type qu’on leur a présenté. Avec quelle prodigieuse intensité de vie se trouvent réalisés ces types, ceux-là seuls qui ont assisté à ces expériences peuvent le savoir. Une description ne saurait en donner qu’une image bien affaiblie et imparfaite.

Au lieu de concevoir un type, elles le réalisent, l’objectivent. Ce n’est pas à la façon de l’halluciné, qui assiste en spectateur à des images se déroulant devant lui ; c’est comme un acteur, qui, pris de folie, s’imaginerait que le drame qu’il joue est une réalité, non une fiction, et qu’il a été transformé, de corps et d’âme, dans le personnage qu’il est chargé de jouer.

Pour que cette transformation de la personnalité s’opère, il suffit d’un mot prononcé avec une certaine autorité. Je dis à A… : « Vous voilà une vieille femme ; » elle se voit changée en vieille femme, et sa physionomie, sa démarche, ses sentiments sont ceux d’une vieille femme. Je dis à B… : « Vous voilà une petite fille ; » et elle prend aussitôt le langage, les jeux, les goûts d’une petite fille.

Encore que le récit de ces scènes soit tout à fait terne et incolore comparé à ce que donne le spectacle de ces étonnantes et subites transformations, je vais cependant essayer d’en indiquer quelques-uns.

Voici quelques-unes des objectivations de M… :

En paysanne. Elle se frotte les yeux, s’’étire. « Quelle heure est-il ? quatre heures du matin ! » (Elle marche comme si elle faisait trainer ses sabots…) « Voyons, il faut que Je me lève ! allons à l’étable. Hue ! la rousse ! allons, tourne-toi… » (Elle fait semblant de traire une vache…) « Laisse-moi tranquille, Gros-Jean. Voyons, Gros-Jean, laisse-moi tranquille, que je te dis ! Quand j’aurai fini mon ouvrage. Tu sais