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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/242

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On voit que dans cette objectivation de V…, quoique le personnage qu’elle représentait lui soit très antipathique, elle n’a pas cherché à le représenter ridicule ou odieux. Elle cherchait au contraire à l’excuser, tellement elle était entrée dans le rôle. Son air ennuyé et contraint, ses réponses évasives, mais polies, étaient absolument conformes à ce que peut dire, penser et faire un individu interrogé par un magistrat, et qui est coupable.

Ce n’est pas du reste un des moins curieux phénomènes de ces objectivations, que la transformation complète des sentiments. A… est timide, mais elle devient très hardie, quand elle objective un personnage hardi. Elle est très religieuse ; elle devient irréligieuse, quand elle représente un personnage irréligieux. B… est silencieuse. Elle devient bavarde quand elle représente un personnage bavard. Le caractère a complètement changé. Les goûts anciens ont disparu et sont remplacés par les goûts nouveaux qu’est supposé avoir le nouveau type représenté.

Il faut, je crois, considérer ces faits comme étant indiscutables en tant que faits. Au premier abord, ils peuvent sembler étranges et presque surnaturels : mais, en réalité, ils n’étonnent que par la facilité de leur production, car les symptômes s’accordent assez bien avec ce que nous savons des phénomènes psychologiques normaux.

Si en effet nous analysons les diverses conditions de notre existence intellectuelle, nous y trouvons des éléments divers. Il y a d’abord la personnalité, c’est-à-dire le souvenir conscient de nous-mêmes, de ce que nous sommes, de notre âge, de notre sexe, de notre nationalité, du lieu où nous existons, des sentiments que nous avons d’ordinaire, de notre situation sociale, psychique et physique. C’est un phénomène de mémoire.

En second lieu, nous avons la perception des faits qui sont autour de nous, des lieux que nous voyons, de nos vêtements, de notre attitude, des personnes qui nous entourent, des objets qui sont à notre portée. À l’état normal, nos sens sont constamment éveillés, et les sensations qu’ils nous donnent déterminent une notion qui n’est pas la conscience de notre personnalité, mais qui en somme aboutit au même résultat : puisque les faits extérieurs qui nous entourent nous rappellent sans cesse à la réalité.

En troisième lieu nous avons la notion du moi, c’est-à-dire la notion, d’un être à la fois sensible et actif, d’un être qui d’une part reçoit des impressions sensitives, et qui d’autre part peut agir sur des muscles et les mettre en mouvement. Sentir, penser et agir, ce sont là les caractères du moi.