Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/25

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
15
LÉVÊQUE. — l’esthétique musicale en france

il y a des objections. Je n’ai garde de les éluder. La première est très connue. Chose bizarre ; on l’a dix fois réfutée ; n’importe, elle reparaît toujours et se croit toujours invincible, tant les théoriciens et critiques musicaux se lisent peu les uns les autres, à part de rares exceptions. Je serai aussi obstiné que cette objection, qui n’est qu’une grosse erreur : aussi souvent elle sera ramenée, aussi souvent je la combattrai. Elle consiste à dire que la musique est d’une complaisance infinie et qu’elle pousse la facilité de ses unions jusqu’à la parfaite indifférence. En d’autres termes, tel air de musique vocale s’adaptera également bien à des paroles de signification contraire ; et telle phrase de musique instrumentale que vous voudrez citer ou choisir, est un cadre élastique où chacun peut mettre tout ce qu’il veut. La conséquence s’aperçoit de reste ; toute analyse psychologique est vaine, puisqu’un autre interprète du même morceau peut légitimement attribuer à ce chant musical un sens opposé.

Pour cette fois, je passe la parole à Berlioz, qui répondra mieux que-moi : « Je parlais tout à l’heure des compositeurs qui croient à l’expression musicale, mais qui y croient avec réserve et bon sens, sans méconnaitre les limites imposées à cette puissance expressive par la nature même de la musique et qu’elle ne saurait en aucun cas dépasser.

« Il y a beaucoup de gens à Paris et ailleurs qui, au contraire, n’y croient pas du tout. Ces aveugles, niant la lumière, prétendent sérieusement que toutes paroles vont également bien sous toute musique… Ils ajusteraient sans remords le poème de la Vestale sous la partition du Freyschütz et réciproquement…

« On aurait beau répondre à ces malheureux comme cet ancien qui marchait pour prouver le mouvement, on ne les convertirait pas.

« Aussi est-ce pour le divertissement des esprits sains seulement que nous présentons ici les paroles de deux morceaux célèbres, placées, les premières sous l’air de la Grâce de Dieu, les autres sous celui de la chanson Un jour maître corbeau[1]. »

Or ce sont les paroles de la Marseillaise qui sont appliquées à l’air de la Grâce de Dieu ; et celles d’Eléazar. « Rachel quand du Seigneur, de la Juive, qui sont mises sur l’air d’Un jour maitre corbeau. » — Non, jamais on ne fit un emploi aussi décisif de la démonstration expérimentale. Que mes lecteurs chantent et vérifient : risum teneatis, amici. Eh bien, je gage que, à l’instant même où je

  1. Les grotesques de la musique, p. 229, édit. citée.