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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/251

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RICHET. — la personnalité dans le somnambulisme

Voyons en effet ce qui se passe. A… a oublié que je lui ai dit de venir lundi. D’autre part, le souvenir que je lui ai dit de venir lundi persiste à l’état inconscient, et elle vient. Cependant elle cherche la raison qui l’a fait venir, et elle trouve tel ou tel motif plus ou moins futile. Elle est venue, et elle cherche les raisons pour lesquelles elle est venue. Elle n’est pas venue pour telle ou telle raison. Mais c’est parce qu’elle est venue qu’elle trouve telle ou telle raison d’être venue.

J’ai souvent admiré l’ingéniosité des motifs qu’elle se donne à elle-même pour expliquer sa conduite. Elle ne connaît pas la vraie cause, qui pour son intelligence consciente reste obscure, inconsciente, inconnue. Elle invente alors d’autres raisons qui lui semblent plus ou moins plausibles.

Je croirais volontiers que chez nous, à l’état normal, il en est souvent de même. Pour déterminer nos actes, beaucoup de motifs inconnus de nous-mêmes sont tout-puissants. Quand l’acte est accompli, si nous avons le désir de l’analyser, nous y parvenons quelquefois ; mais c’est avec peine et d’une manière incomplète. Les moralistes profonds ont pénétré ces secrets ressorts plus avant que le commun des hommes ; mais leur pénétration n’est pas si grande que beaucoup de causes sourdes, inconscientes, ne leur aient échappé.

Supposons qu’au lieu d’un ordre donné verbalement, il s’agisse d’un instinct particulier, imaginons le coucou par exemple qui va déposer ses œufs dans les nids voisins. Quand le coucou fait cela, il s’imagine qu’il le veut, car sans doute jamais il n’a vu d’oiseau de son espèce agir ainsi, il n’a assurément aucune connaissance que ses ancêtres ont opéré ainsi depuis plusieurs milliers de générations. Donc, s’il pouvait réfléchir à son action, il n’irait par lui donner pour cause la raison vraie, déterminante, qui est un instinct fatal, héréditaire, mais qu’il ignore. Non certes : il chercherait des motifs, et il en trouverait : la proximité d’un nid bien fait, le besoin pressant de déposer son œuf, la difficulté de construire un nid nouveau, l’avantage de donner à ses petits un abri tout assuré ; l’intérêt qu’il y a à disséminer dans plusieurs nids l’espoir de la génération prochaine ; que sais-je encore ! tout ce que pourrait imaginer en pareil cas un coucou démesurément intelligent. Quoi qu’il puisse penser, il n’admettra jamais que l’acte qu’il a accompli dépend d’une cause qu’il ignore. Car cette cause qu’il ignore, il ne peut pas l’invoquer : il lui est impossible d’en tenir compte, puisqu’il l’ignore.

Mais, quoiqu’il ignore cette cause, elle est toute-puissante, et elle détermine ses actes.