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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/28

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sive du morceau. Les compositeurs sont, à ce point de vue, les seuls bons chefs d’orchestre quant à l’exécution de leurs œuvres. Eux seuls savent au juste dans quel mouvement leurs pensées doivent être chantées, et ils devraient toujours l’indiquer par des signes certains.

Mais le mouvement n’est pas l’unique moyen de graduer, de particulariser autant que possible l’expression. Le rythme y contribue pour une part considérable. En l’absence des mots, il communique à la voix de l’orchestre une éloquence souvent prodigieuse. Ecoutons Berlioz expliquant la force si étrangement troublante de cet allegretto (qu’on appelle andante) de la symphonie en la, surtout par la nature du rythme :

« Le rythme, un rythme simple comme celui du premier morceau, mais d’une nature différente, est encore la cause principale de l’incroyable effet produit par l’allegretto. Il consiste uniquement dans un dactyle suivi d’un spondée, frappés sans relâche, tantôt dans trois parties, tantôt dans une seule, puis dans toutes ensemble ; quelquefois servant d’accompagnement, souvent concentrant l’attention sur eux seuls, ou fournissant le premier thème d’une petite fugue épisodique à deux sujets dans les instruments à cordes : Ils (toujours le dactyle et le spondée) se montrent d’abord dans les cordes graves des altos, des violoncelles et des contre-basses, nuancés d’un piano simple, pour être répétés bientôt après dans un pianissimo plein de mélancolie et de mystère ; de là, ils passent aux seconds violons, pendant que les violoncelles chantent une sorte de lamentation dans le mode mineur ; la phrase rythmique, s’élevant toujours d’octave en octave, arrive aux premiers violons qui, par un crescendo, la transmettent aux instruments à vent dans le haut de l’orchestre, où elle éclate alors dans toute sa force. Là-dessus, la mélodieuse plainte, émise avec plus d’énergie, prend le caractère d’un gémissement convulsif ; des rythmes inconciliables s’agitant péniblement les uns contre les autres ; ce sont des pleurs, des sanglots, des supplications : c’est l’expression d’une douleur sans bornes, d’une souffrance dévorante[1]… »

On le voit, cette merveilleuse page d’analyse porte principalement sur la vertu expressive du rythme dans le morceau en question. Berlioz s’attache à ce rythme, il le suit pas à pas partout où il va qu’il monte, qu’il descende, qu’il se transmette d’un groupe d’instruments à un autre.

Si le critique ne s’était attaché qu’à l’étude du seul mouvement,

  1. À travers chants, page 47, édit. citée.