Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/281

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
271
GUYAU. — critique de l’idée de sanction

une infusion de quinquina. Le vicieux en vient à haïr non seulement son vice, mais les jouissances mêmes qu’il lui procurait ; il les méprise à tel point que, pour se le montrer à soi-même, il aime à se sentir souffrir. Toute souillure a besoin d’une sorte de mordant pour être effacée ; la douleur peut être ce mordant. Si elle ne peut jamais constituer une sanction morale, le mal pathologique et le mal moral étant hétérogènes, elle peut devenir parfois un utile cautère. Sous ce nouvel aspect, elle a une valeur médicatrice incontestable ; mais d’abord, pour qu’elle soit vraiment morale, elle doit être consentie, demandée par l’individu même. De plus, il faut se souvenir qu’une médication ne doit pas durer trop longtemps, ni surtout être éternelle. Les religions et la morale classique ont compris ce que vaut la douleur, mais elles en ont abusé ; elles ont fait comme ces chirurgiens si émerveillés des résultats de leurs opérations qu’ils ne demandent plus qu’à couper bras et jambes. « Tailler » ne peut jamais être un but, et la fin dernière doit être de « recoudre ». Le remords ne vaut que pour conduire plus sûrement à une résolution définitivement bonne.

En somme, on pourrait considérer le remords sous un double aspect, tantôt comme la constatation douloureuse et relativement passive d’un fait (désobéissance à un penchant plus ou moins profond de l’être, déchéance de l’individu par rapport à l’espèce ou à son propre idéal), tantôt comme un effort plus ou moins pénible encore, mais actif et énergique, pour sortir de cet état de déchéance. Sous son premier aspect, le remords peut être logiquement et physiquement nécessaire ; mais il ne devient moralement bon que lorsqu’il revêt son second caractère. Le remords est donc d’autant plus moral qu’il ressemble moins à une sanction véritable. Il est des tempéraments chez lesquels ces deux caractères du remords sont assez nettement scindés ; il en est qui peuvent éprouver une souffrance très cuisante et parfaitement vaine ; il en est d’autres qui (la raison et la volonté étant chez eux prédominantes) n’ont pas besoin de beaucoup souffrir pour reconnaître qu’ils ont mal fait et s’imposer une réparation ; ces derniers sont supérieurs au point de vue moral, ce qui prouve que la prétendue sanction intérieure, ainsi que toutes les autres, ne se justifie que comme un moyen d’action.

IV. — Sanction religieuse.

Plus nous allons, plus la sanction proprement dite, c’est-à-dire la « pathologie » morale, nous apparaît comme une sorte de garde-fou, ayant son utilité là seulement où il y a un chemin tracé et quelqu’un