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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/302

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quoi, cet ineffable, c’est « comme le cri de joie de la nature » [1] qui sa tâche faite, dans cet acte désintéressé, superflu, par une intuition soudaine, se reconnaît comme l’esprit pur. La beauté, c’est la liberté absolue manifestée dans la nécessité. La pensée ne jouit pas de l’objet, elle jouit d’elle-même ; par une intuition qui la surprend et l’exalte, elle éprouve qu’elle est la réalité absolue, qu’elle est tout ce qui est, et elle se contemple éternelle, lumineuse, toute-puissante, et sa contemplation la ravit hors de l’espace et du temps dans une joie surnaturelle[2].

Comme les autres facultés de l’âme, l’activité devient toute spirituelle. Dans la vie moyenne, la volonté s’oppose à la nature, la pensée éclaire et juge les inclinations. Mais cette volonté n’est encore qu’un désir raisonné : l’homme, libre dans sa manière d’agir, dans le choix des moyens, ne l’est pas dans le terme de son action ; il subit quant aux fins qu’il poursuit la tyrannie de sa nature physique. Dans la vie divine, la pensée ne trouve plus en face d’elle-même aucun objet extérieur ; elle est le sujet et l’objet, le motif et l’agent, elle dépasse tout ce qui la limite, elle reconnaît qu’elle existe en dehors de tout ce qui la détermine, elle se saisit sans intermédiaire dans sa réalité absolue. La pensée se dégageant de tout ce qui lui est étranger, anéantissant la nature par la conscience de sa supériorité infinie, se prenant pour fin, se voulant, s’aimant elle-même, à la fois l’agent et le terme de l’acte, c’est la liberté absolue. Par la dialectique, la pensée, après avoir créé l’objet, est amenée à se reconnaître comme la substance, comme la cause de tout ce qui est ; en approfondissant sa nature par la réflexion, elle se détache peu à peu de tout objet, elle fait évanouir tout ce qui la voile ; elle se recueille ; elle se concentre ; elle se veut elle-même ; elle se reconnaît comme la seule fin qui mérite d’être poursuivie pour elle-même, comme le seul bien dont l’amour ne soit pas une illusion. Puisque la pensée est l’être éternel, infini, la lumière dont le monde n’est qu’une réfraction, la seule réalité véritable c’est l’acte de la pensée se voulaut et s’aimant elle-même. Le principe des choses en est la fin, tous les rayons remontent au foyer dont ils émanent, le cercle se referme ; la pensée, n’ayant plus rien devant elle qui lui soit étranger, s’étant retrouvée elle-même, n’a plus rien à chercher[3].

C’est ainsi que la pensée par la réflexion s’élève jusqu’à la pure conscience d’elle-même. Le mystère de la nature humaine s’éclaircit : l’âme et le corps, leur distinction, leur union, leurs rapports, tout

  1. Psych., leç. XXV.
  2. id.
  3. Psychologie, leç. XXVI, XXVII.