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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/303

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SÉAILLES. — philosophes contemporains

s’explique, l’homme se comprend dans sa dignité et dans sa dépendance, dans sa noblesse spirituelle et dans son esclavage du corps. Il ne s’apparaît pas comme un être monstrueux, composé de deux substances sans rapport. L’âme et le corps sont les deux points de vue d’une seule et même substance : le corps, c’est la pensée déterminée, vue à travers les formes de la sensibilité ; l’âme, c’est la pensée toute pure, l’être qui soutient les phénomènes. Prétend-on passer de l’étude des faits internes à une âme spirituelle par le raisonnement, on est condamné d’avance au paralogisme : il n’y a de changement que dans l’espace, tout ce qui est phénomène est étendu. On dit : La pensée est une. Soit. Elle est une comme l’objet, d’une unité de collection. L’unité de la pensée d’une ville ne diffère pas de l’unité de la ville. Or le corps est bien plus propre que l’âme à expliquer cette unité collective, un organisme n’étant que l’unité d’une multitude de mouvements en accord. On dit encore : La pensée est identique, et on invoque la persistance des souvenirs. Mais les états dont la liaison persiste dans le souvenir, ce sont des phénomènes, des mouvements ; cette persistance n’est-elle pas explicable par le corps ? Il se renouvelle sans cesse, il est vrai, mais le nouveau corps reproduit l’ancien ; pourquoi les derniers éléments du cerveau ne conserveraient-ils pas les formes, les dimensions, les vibrations des éléments qu’ils remplacent ? Les cicatrices ne sont-elles pas des souvenirs tout corporels ? Il n’y a que le corps qui puisse expliquer à la fois l’identité et la diversité des états intérieurs qui survivent dans la conscience. Le libre arbitre n’est pas une preuve, parce qu’il n’existe pas. Nous n’agissons jamais sans motifs, l’action n’est que la suite d’un mouvement qui la précède et qui la détermine. La succession suppose l’étendue ; on ne va pas des phénomènes à l’âme ; des phénomènes on ne peut aller qu’à une machine corporelle, qu’à un système de mouvements organisés. L’âme ne se conclut pas, elle se saisit directement. L’âme, c’est la pensée pure, se détachant de tous les phénomènes, s’apercevant par la réflexion en dehors de toutes ses déterminations, dans son indépendance absolue, se mettant hors des choses, hors de l’espace, hors du temps, et regardant de l’éternel, une identique, immobile, le flot des phénomènes qui s’écoulent. La conclusion de la philosophie de la nature, c’est que le réel du monde, c’est Dieu ; la conclusion de la philosophie de l’homme, c’est que ce qu’il y a de réel, de spirituel, d’immortel dans l’homme, c’est Dieu[1].

  1. Psych., 28e, 31e leçon.