Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/312

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
302
revue philosophique

la réflexion comme le principe et la réalité de toutes les pensées déterminées[1]. La preuve par les vérités éternelles nous conduit aux mêmes conclusions. Si les lois logiques, qui dominent l’esprit, si les lois métaphysiques et mécaniques, qui dominent le monde, ne sont que les décisions d’un être personnel, si elles résident dans un entendement distinct des choses et de l’esprit, rien ne nous garantit qu’elles ne seront pas transformées subitement par un caprice de cette volonté arbitraire. Si ces vérités nous sont données, elles ne sont que des faits, on ne sort pas de l’empirisme. Une vérité ne peut être éternelle que si elle exprime le rapport nécessaire de la pensée à l’objet qu’elle se donne. Le fini, c’est encore l’infini ; le relatif, c’est encore l’absolu ; dans l’espace et dans le temps, c’est l’éternel, qui apparaît, voilà pourquoi il y a des vérités nécessaires. Le fondement de la vérité, c’est le rapport de tout ce qui est à la pensée[2].

Mais, si les lois mécaniques n’exigent pas un Dieu personnel, en est-il de même de l’ordre du monde ? Dès qu’il y a une fin, n’y a-t-il pas une intelligence et une volonté distinctes du bien qu’elles poursuivent ? Si l’on regarde le monde du dehors, à la façon de Fénelon, rien ne prouve la finalité. L’oiseau vole-t-il parce qu’il a des ailes ? A-t-il des ailes pour voler ? question que ne peut trancher l’expérience, parce que l’apparition d’un organe dépend d’un concours de mouvements soumis aux lois du mécanisme. Nous ne nions pas la finalité, parce qu’elle est une exigence de la pensée, parce que nous la posons en tant que raison universelle se donnant un objet. Mais, de ce que l’homme n’obtient une fin qu’en disposant avec réflexion les moyens propres à la réaliser, peut-on conclure que la nature suit nécessairement cette voie lente et détournée ? L’univers est-il une vaste horloge dont Dieu est l’horloger, selon la profonde conception de Voltaire ? Déjà dans l’art humain, la nature précède l’entendement, la conception inconsciente et spontanée l’exécution lente et réfléchie. Dans le monde, l’art n’est plus qu’inspiration, la nature fait tout sans effort, du dedans, comme saisie d’un pressentiment mystérieux, soulevée par un vague désir, guidée par un instinct infaillible. Dieu ne perd rien à n’être pas un individu, une personne finie, conçue à notre image. « Il vaut mieux être la vérité que d’être quelqu’un qui du dehors n’en voit qu’une partie. La personnalité se constitue quand une goutte de l’intelligence qui est dans les choses s’en détache et forme un petit miroir qui la réfléchit. On ne peut pas dire moi dans deux pensées simultanées, le moi est conte une

  1. Théodicée, leç. III et IV.
  2. Théodicée, leç. V.