Aller au contenu

Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/317

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
307
SÉAILLES. — philosophes contemporains

vouloir le bien, l’aimer, c’est déjà le posséder ; Dieu est en nous, jamais nous ne l’appelons en vain, jamais il n’est sourd à la prière pure et sincère ; l’invoquer, c’est déjà en susciter en soi la présence réelle. La charité, comme la prière, est religieuse, parce qu’elle s’adresse à Dieu dans l’homme, parce qu’elle ne veut que symboliser dans les rapports des hommes entre eux le pur amour de l’âme pour l’âme. « Dans la charité, la ruine de la nature nous rend heureux, parce qu’elle nous rapproche de l’état surnaturel : ce sont deux choses très différentes de développer ces facultés en les aimant on en les méprisant intérieurement, et avec la conscience de jouer une espèce de comédie ; d’aimer l’homme pour l’homme ou de l’aimer d’un amour impersonnel, pour le Dieu présent en lui[1]. »

Nous sommes au terme, nous avons déterminé tout à la fois les principes de la science et de l’existence, saisi dans leurs rapports le monde, l’homme et Dieu. Le rapport du réel dispersé au réel concentré, c’est le rapport du monde à Dieu, c’est la création. Le monde, c’est la pensée manifestée sous les formes de l’espace et du temps, adaptant ses lois à ces formes. L’homme, c’est la conscience de ce monde, la conscience de la pensée devenue la nature : du rapport du monde à la pensée dans la conscience humaine, résulte la possibilité de toutes les sciences. Approfondir sa conscience, retrouver le divin qui est en elle, s’y attacher de toutes ses forces, voilà la destinée de l’homme. Pourquoi le monde ? pourquoi l’homme ? C’est la même question sous deux formes, question insoluble qui fait que l’effort, pour tout rendre intelligible, s’en va finir à cette suprême ignorance, d’où dérive toute notre science. La dernière explication est un mystère. Le Dieu transcendant a créé le Dieu immanent, Dieu s’est fait nature ; le monde, c’est l’état de déchéance de Dieu : de le mal moral, le mal physique, conséquences du mal métaphysique. Mais le Dieu transcendant est encore tout entier dans le Dieu immanent, l’illusion n’est pas incurable : à côté du mal il y a le remède, au-dessus de la nature il y a la moralité. Si nous ignorons comment se pose le problème de la vie présente, nous savons du moins comment il doit être résolu : que le Dieu immanent se sacrifie au Dieu transcendant, que s’évanouisse l’illusion décevante du monde, que tous les rayons dispersés, brisés, remontent, se redressent et de nouveau se concentrent dans la splendeur éternelle de l’unité divine.

  1. Cours de morale, leç. XVII.