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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/316

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que nous semons aujourd’hui ; sur la foi du devoir, nous devons croire, pour que puisse advenir le règne de la Liberté, à une surnature, à un principe de sanctification, de béatification, agissant à la façon de la nature[1], » faisant lever dans l’Éternel la semence du bien que nous jetons ici bas.

Est-ce à dire que nous posions hors de nous un individu tout-puissant, un Deus ex machinâ chargé du dénouement qui nous embarrasse ? C’est parce qu’en mous se retrouvent la nature, l’homme et Dieu que nous pouvons sacrifier la nature et l’homme à Dieu. C’est la conscience au moins indirecte que nous prenons par la vie divine du Dieu, substance de notre être, de la pensée, seule réalité véritable, qui fait de l’acte de foi moral l’acte le plus raisonnable, l’acte qui seul épuise la raison tout entière. Dieu est en nous et nous sommes en lui, in eo vivimus, movemur et sumus ; le rédempteur, l’auteur du salut, c’est l’Homme idéal, l’Homme saint, à la fois Dieu et homme, ou mieux c’est Dieu dégagé des illusions qui en nous le dérobent à lui-même. Déchirez les voiles de l’espace et du temps, il reste Dieu. La foi morale, c’est la conviction-que le mode d’existence auquel nous sommes réduits n’est pas le vrai, c’est l’espérance, c’est la volonté d’être Dieu, volonté qui suppose que Dieu est déjà, puisque c’est exactement la même chose de devoir être ou d’être pour un être éternel. La forme actuelle de la conscience abolie, Dieu sera. L’expérience de Dieu nous manque, nous y suppléons par un acte de foi infiniment raisonnable, par un acte d’audace de la raison qui dit : « Cela est bon, cela doit être, cela seul me satisfait, donc cela est[2]. » Approfondissez cette hardiesse, vous y trouverez cette simple vérité : Etre est. La foi morale, c’est la foi de la raison en elle-même ; foi, raison, les deux termes s’identifient. Tout se tient : la dialectique ne rend tout intelligible qu’en montrant que tout dépend de la pensée et que le pensée ne dépend de rien, étant l’Être dont tout n’est que le phénomène ; sacrifier l’illusoire au réel, tout ce qui apparaît à la pensée, c’est la morale même, terme et conclusion de la dialectique ; mais la morale à son tour implique la croyance au parfait, n’a de sens que par cette croyance, à laquelle se trouvent ainsi suspendues l’existence du monde et la conscience de l’humanité.

Si Dieu est en nous, la religion est tout intérieure : c’est nous mêmes en tant que divins que nous prions, que nous adorons. Seule la prière morale est efficace ; demander la moralité, la délivrance de la tentation, c’est déjà s’affranchir du mal en luttant contre lui ;

  1. Théodicée, leç. X.
  2. Théodicée, leç. X.