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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/319

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SÉAILLES. — philosophes contemporains

science, elle se reconnaît comme le principe qui pose, qui affirme, qui crée, dont tout dépend, qui ne dépend de rien. La pensée est tout ce qui est, voilà la vérité d’où tout part, où tout revient, la vérité féconde, que toute vérité confirme, parce que toute vérité n’en est qu’une traduction ou un corollaire. C’est l’âme du système, dont tous les termes s’impliquent.

Par cela qu’elle s’est saisie dans ses vrais rapports avec l’objet, la pensée peu à peu s’en dégage et s’en détache. Elle a créé le monde, elle sait ce qu’il est et ce qu’il vaut. Elle ne veut plus, elle n’aime plus qu’elle-même. Ne pouvant faire tomber les voiles de l’espace et du temps, elle imite du moins, autant qu’elle le peut ici-bas, le monde supra-sensible par des symboles ; ne pouvant anéantir le monde, elle y représente l’unité des âmes en Dieu par la charité ; ne pouvant avoir l’expérience de la vie surnaturelle, de l’absolu, elle affirme l’existence de Dieu par un acte de foi qui est l’acte de raison par excellence, et elle résume toute la vie spéculative, toute la vie pratique dans cette formule d’une simplicité révoltante : L’Être est.

L’Être est, proposition évidente et incertaine. L’Être est, Dieu existe, donc le ciel et la terre disparaitront, donc l’illusion qui cache l’être à lui-même, qui le brise et le disperse, cessera ; donc tout ce qui apparaît, tout ce qui n’est pas, s’étant dissipé, de nouveau brillera l’éternelle splendeur de la pensée. L’Être est, l’idéal seul est réel, voilà le terme de la philosophie, la proposition que tout rend évidente et qui reste douteuse. Incertitude nécessaire, qui donne un sens à la vie et le mérite à la vertu. Incertitude qui rend tout incertain en menaçant de tout faire inintelligible. Incertitude qui cesse par l’acte moral, par la pratique du bien. « Si l’idéal n’était pas le seul réel, la vie serait une mystification. » La vie présente ne prend un sens que par l’humilité, par la douceur, par le renoncement et par la charité. « La décadence commence quand on demande trop à la vie présente ; notre condition, c’est le travail. Quand l’homme se considère comme une bête de somme, il ne fait pas de sottises. Le débauché paresseux et philosophe sent son grand seigneur. Dans un végétal, dans une ruche, la masse est neutre. Au-dessus il y a une toute petite aristocratie qui ne fait rien pendant que le reste travaille. Primitivement, l’humanité est ainsi. Bientôt tous veulent être fleurs, reines ou fourmis ailées, tous être grands seigneurs, tous ne rien faire ! Illusion ! La félicité n’est pas de ce monde. Rien de ce qui peut être possédé ici-bas ne vaut la peine d’être aimé ; rien de ce qui peut être aimé ne vaut la peine d’être possédé… Ou la béatitude est possible, ou la vie et la vertu n’ont pas de sens. L’ordre suprême de la raison, ce qu’elle exige, ce qu’elle impose, ce qui seul l’exprime