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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/329

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ANALYSES. — MAX MÜLLER. Kant’s Critique.

comme l’effet d’une cause étrangère à la série phénoménale, cela s’appelle une création. Aucune création ne peut être admise, à titre de fait, au milieu du réseau des phénomènes, par la raison que la seule idée d’un fait pareil briserait l’unité de l’expérience. » Quelle joie mêlée de surprise n’éprouvèrent pas les savants, le jour où ils virent fondre, pour ainsi dire, sous leurs yeux l’innombrable multitude des genres et des espèces ! C’est qu’en effet, en dehors des observations empiriques, nul ne s’était avisé encore d’examiner l’autre côté de la question, &e discuter le caractère subjectif de ces termes.

« Quelque opposés que soient les mots de genre et d’espèce, dit M. Müller, leur première fonction à coup sûr, c’est d’être des concepts de l’entendement : concepts en dehors desquels nul objet d’expérience ne nous suggérerait jamais aucune idée définie de genre ou d’espèce. »

« Maintenant ces termes, que représentent-ils en dernière analyse ? La loi fondamentale de la pensée, qui veut que tout soit conçu et envisagé sous le double point de vue du général et du spécial, condition sine qua non de l’expérience elle-même. C’est là une vérité mise hors de doute par Kant dans sa déduction transcendentale.

« On comprend dès lors que, si la formation d’un ordre quelconque de concepts est l’œuvre subjective de notre esprit, c’est aussi le cas des notions de genre et d’espèce : termes appliqués à des objets d’origine ou de forme commune, avant d’être défigurés par les logiciens. Bien avant qu’Aristote eût violenté les vocables γένος et εἶδος en vue d’établir entre eux des rapports imaginaires de subordination, le langage en effet c’est-à-dire la logique réelle et historique de l’espèce humaine — s’était contenté en créant ces termes de leur assigner un simple rapport de coordination.

« Genos signifiait parenté, et la première forme de genos fat la gens ou famille comprenant les individus qui pouvaient se réclamer d’un ancêtre commun, quelque diversité d’apparence qu’il y eût entre eux, comme entre le grand-père et le petit-fils. Eidos ou species, au contraire, signifiait l’apparence et la forme visible, de sorte que vraisemblablement le premier eidos dut être une troupe de guerriers ou d’individus d’aspect uniforme, et l’on n’avait garde, bien entendu, de rien affirmer touchant la communauté d’origine. Voilà le commencement historique ou préhistorique de ces deux catégories essentielles de la pensée. Qu’en a fait, au total, la théorie de l’évolution ? Elle les a purement et simplement ramenées à leur signification originelle. Elle a fait voir qu’il n’y a pour nous que deux manières de grouper, de comprendre, de concevoir, de classifier, de généraliser ou d’exprimer : le point de vue de la descendance commune (généalogie), et le point de vue de la ressemblance d’aspect (morphologie). La différence de forme n’est rien, quand on fait la classification du point de vue généalogique, et la différence de descendance n’est point davantage, pour qui fait ta classification du point de vue morphologique. Ce que la théorie de l’évolution est en train de faire représente exactement le travail de recherche des généalogistes,