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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/328

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lus d’abord des philosophes de profession, mais aussi de quiconque a une fois compris qu’il y a dans notre vie d’hommes des problèmes dont la solution fait l’intérêt même de la vie. Ces problèmes, Kant nous le répète sans cesse, sont l’œuvre et le tissu de la raison : et ce que la raison a noué, la raison seule est capable de le dénouer. Ces problèmes représentent en fait la période mythologique de la philosophie, c’est-à-dire l’influence des langues mourantes ou mortes sur la pensée vivante des âges suivants. Une époque qui, comme ce siècle-ci, a trouvé la clef de l’ancienne mythologie religieuse, saura sans doute aussi où chercher la clef qui nous ouvre portes battantes la mythologie de la raison pure. C’est l’honneur de Kant d’avoir marqué les limites du connaissable et de l’inconnaissable. Que nous reste-t-il à faire, après lui ? Il nous faut montrer comment l’homme en est venu à croire qu’il lui était possible d’atteindre beaucoup plus qu’il n’est permis à ses facultés, et c’est ce que met en lumière la Critique du langage. » All future philosophy must be a philosophy of language. N’est-il pas vrai en effet que « l’ordre entier des choses réelles en dehors, au-dessus et au delà de la vie présente se réduit à un sentiment obscur, exprimé de mille manières et en mille mots : autant de bégaiements de l’esprit désireux d’exprimer l’ineffable, autant de signes empreints de la croyance à l’action immanente du divin au sein de la nature, à l’union de l’infini et du fini ? » L’agnosticisme kantien, si pénible que soit l’aveu, n’est-il pas la conséquence évidente et inévitable de la critique de l’intelligence ?

Aveu qui, comme cette critique elle-même, ne va point sans profit. Par malheur, écrit M. Müller, « nous vivons dans un siècle de découvertes physiques merveilleuses et de complète prostration philosophique. Ainsi peut-on s’expliquer que la physique ou plus particulièrement’encore la physiologie ait à l’heure actuelle mis la main sur le sceptre de la philosophie : fait, à notre avis, désastreux pour les deux sciences… Les vérités métaphysiques sont pourtant d’une portée singulièrement plus haute que la vérité physique, et c’est un malheur véritable qu’une science dont le véritable nom serait celui de Préphysique ait reçu le nom trompeur et malencontreux de métaphysique. Car c’est seulement une fois en possession des principes de la métaphysique que le naturaliste, physicien ou physiologiste, est en mesure de commencer son œuvre dans un esprit de véritable rigueur scientifique… »

En veut-on la preuve ? « Il y a peut-être, continue M. Müller, un effort plus considérable et un déploiement de qualités mentales plus brillantes à montrer qu’en fait la nature ne contient aucune trace d’actes répétés de création spéciale, qu’à prouver comment une théorie contraire rendrait impossible l’unité de l’expérience et conséquemment toute science. Pourtant, que sont les arguments des observateurs purs, sans les fondements inébranlables de la métaphysique ? Quelle assurance n’aurait pas le géologue dans la poursuite de ses recherches et le développement de ses conclusions, s’il avait présentes à l’esprit ces lignes de Kant : « Toutes les fois qu’une apparition de ce genre est regardée