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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/336

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D’après des observations authentiques, le bégaiement peut avoir pour cause limitation, soit limitation involontaire, chez l’enfant qui vit à côté d’une personne bègue, soit l’imitation volontaire. On cite les exemples curieux d’un élève devenu bègue pour avoir imité le bégaiement d’un condisciple afin d’être dispensé, comme lui, de réciter ses leçons, et d’un ouvrier qui au bout de quelques mois devint assez bègue pour être réformé. C’est ainsi qu’on peut devenir louche pour avoir imité le strabisme d’une autre personne.

Enfin il y a des bègues par imagination, qui le deviennent pour avoir cru l’être, comme ces malades imaginaires qui contractent à la longue une maladie réelle. Ge cas s’observe chez certaines personnes qui n’ont pas une grande facilité d’élocution et brûlent pourtant de se mêler aux conversations et d’y briller. Ils ne trouvent pas l’expression, les idées ne, jaillissent pas assez vite, ils s’intimident, s’embrouillent et se croient bègues, et en effet ils finissent par ânonner en parlant. Par contre, il y a des bègues en assez grand nombre qui par amour-propre refusent de confesser qu’ils le sont, et accusent tout au plus un léger embarras dans la voix. Ceux-là sont très difficiles à corriger.

Dans un même individu, l’infirmité varie d’intensité sous l’influence de conditions physiques ou morales ; on a remarqué que le bégaiement augmentait pendant l’hiver et pendant l’été, tandis qu’il diminue au printemps et à l’automne, lorsque ces saisons sont tempérées et humides. Les bègues le savent bien et trouvent même, lorsqu’ils se relâchent dans la pratique de la méthode, une excuse dans l’état de l’atmosphère. C’est le moment de redoubler d’efforts, dit avec raison M. Colombat, et l’expérience prouve que ceux qui ont su maintenir et affirmer la correction de leur parole dans de pareilles circonstances assurent pour toujours leur guérison. Je le crois ; de même ceux qui savent résister à une passion, lorsque la tentation est le plus vive, se soustraient définitivement à son empire. Le bégaiement est plus sensible aussi le matin que dans la journée.

Le bègue est souvent timide, parce qu’il a conscience de son infirmité, et les occasions où les personnes timides se troublent d’ordinaire enchaînent sa langue et le paralysent. Dans un examen, il lui arrive de ne pouvoir répondre un mot, alors même qu’il sait parfaitement. Au contraire, il y a des bègues qui, lorsqu’ils ne sont pas vus de leurs interlocuteurs, parlent couramment, à travers une cloison par exemple ou sous Le masque dans une soirée de carnaval. Une passion véhémente, la colère, la peur font quelquefois disparaître momentanément l’infirmité. Il est très curieux que les bègues retrouvent la parole précisément dans les circonstances où les autres la perdent. Peut-être le fils de Crésus, qui ne pouvait être sourd-muet, n’était-il que bègue, si l’anecdote a quelque chose de vrai. Un bègue qui croit que vous vous moquez de lui, proférera sans hésitation les injures les plus graves et les menaces les plus vives. C’est à croire que c’était lui qui se moquait de vous l’instant d’avant. On peut imaginer là des quiproquos fort amusants sur-