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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/353

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correspondance

Je n’ai pas non plus parlé de compensation des actes délictueux par les actes juridiques : j’ai soutenu seulement, à l’aide de la statistique, que la somme d’énergie qui se dépense nécessairement à chaque instant de la vie d’une société se divise en deux courants, dont l’un se dégage constamment dans le crime, et que plus on dépense d’énergie sociale, plus grossit le flot de la criminalité, ce qui ne m’empêche point de relever les bienfaits de la civilisation, laquelle tend à restreindre de plus en plus la proportionnalité entre l’activité juridique et l’activité criminelle, de façon que la première gagne ce que la seconde vient relativement à perdre. Certes, je n’ai pas nié pour cela augmentation absolue des crimes et délits ; ce que j’ai contesté, c’est son augmentation relative, ce qui est bien autre chose. C’est pour ne pas avoir tenu compte de cette distinction que M. Tarde, après avoir admis que, pour une masse égale d’affaires, il n’y a pas plus de délits… même qu’il y en a moins, ajoute : « Mais court-on, oui ou non, plus de risque aujourd’hui d’être trompé, escroqué, volé par un Français, qu’on en courait il y a cinquante ans ? » Les gens d’affaires ne seront pas de son avis, puisque, s’ils savent qu’ils auraient été trompés jadis, par exemple, dix fois sur cent, ils se croiront plus sûrs aujourd’hui en sachant qu’ils ont maintenant la : chance d’être trompés seulement huit fois plus dans des transactions dix fois plus nombreuses, ou ayant, ce qui revient au même, une extension dix fois plus grande. Si M. Tarde raisonne d’une autre façon, cela provient de ce qu’il commence son raisonnement en considérant le crime sous un point de vue relatif, et puis il en vient à le considérer dans un gens absolu, ce qui rend son argumentation sophistique.

Je puis enfin assurer M. Tarde que je ne confonds pas non plus la révolution avec la civilisation, que je ne maudis pas et que je ne maudirai jamais, à cause des maux inévitables qui l’accompagnent ; ce que je désire, c’est donner l’explication de faite qui nous intéressent au plus haut degré. Je puis me tromper, j’en conviens ; mais j’ai aussi déclaré loyalement que, dans le peu de pages où j’ai ébauché une démonstration de la marche de la criminalité, je n’avais pas la prétention d’avoir réussi, mais seulement d’avoir démontré qu’il existe une voie, des voies même si l’on veut, pour y arriver. D’ailleurs, la recherche d’une loi de la criminalité est des plus nécessaires, si l’on veut mettre enfin un ordre définitif dans les doctrines pénales « et les soustraire aux incertitudes des théories, qui n’ont présenté jusqu’ici que le spectacle d’une suite de démolitions stériles. La recherche d’une loi devient de plus en plus nécessaire au fur et à mesure qu’entre dans l’opinion commune la conviction que le crime doit être combattu pas des institutions de nature à le prévenir, plutôt que par des répressions toujours inefficaces et insuffisantes.

Pour conclure, je m’approprierai les belles paroles de M. Tarde : « Le mal est grand, soit ; mais en résulte-t-il que notre société est réellement aussi malade qu’il peut le sembler ? Et croirons-nous pour de bon que notre nation économe et laborieuse, à mesure qu’elle travaille, qu’elle