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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/357

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FOUILLÉE. — arguments en faveur du libre arbitrie

L’argumentation de l’éclectisme spiritualiste consiste à soutenir que le libre arbitre n’est point le pouvoir de se déterminer sans motifs, mais le pouvoir de se déterminer entre plusieurs motifs, par exemple entre l’idée de l’intérêt présent ou celle de l’intérêt durable. Les motifs sont comme des conseillers intimes prononçant de beaux discours devant une Majesté qui se détermine ensuite selon son bon plaisir. — À quoi l’on peut répondre : — Ou bien cette détermination elle-même a un motif qui la détermine, et alors il y a déterminisme ; ou elle n’en a pas, et en ce cas elle est réellement indifférente ; ou enfin elle en a un, mais elle lui est contraire, et alors elle est pis qu’indifférente : elle est irrationnelle. Le comble de l’indifférence et de l’irrationalité en effet, c’est d’agir non seulement sans motifs, mais contre ses motifs ; or, c’est précisément ce qui caractérise le libre arbitre du spiritualisme classique et éclectique. M. Janet en a donné la meilleure formule en caractérisant les motifs comme de simples objets de contemplation, de représentation, entre lesquels la volonté se décide par un effort propre ; tel le promeneur choisit entre deux rues dont chacune est éclairée. Ce sont des idées-spectacles, qui n’exercent qu’une action platonique, comme les étoiles brillant sur nos têtes, comme les astres qui ne « nécessitent » pas. — En croyant par là sauver la liberté, on fait ce qui est le plus propre à la compromettre, et on donne la main sans le savoir aux purs mécanistes. En effet, on réduit comme eux les idées à de simples reflets ; l’action reste donc à expliquer tout entière : on n’a plus alors de refuge que dans une volonté indifférente, qu’on place entre deux idées comme entre deux fanaux. Aussi les matérialistes ont-ils le droit de dire : Votre volonté indéterminée est un mythe, et vos motifs abstraits sont des symboles ; le vrai fond, c’est le désir, face subjective des mouvements cérébraux : et les désirs ne sont plus des motifs dilettantes : ils ne se contentent même pas d’ « incliner », comme dit Leibnitz ; ils nécessitent. Votre volonté prétendue est

    qu’elles sont tirées d’un ordre d’idées hétérogène à l’ordre moral ; les raisons psychologiques au contraire, dont nous allons nous occuper, sont de vrais arguments. — Remarquons que l’on emploie même en mathématiques le mot d’artifice (par exemple l’artifice des limites, des quantités négatives, etc.) ; et ce mot indique une méthode pour tourner une difficulté non une mauvaise intention du mathématicien ; le terme général d’expédients, appliqué par nous à une classe d’arguments logiques et mathématiques, était donc beaucoup plus inoffensif que le mot de « chicanes » et tant d’autres termes familiers aux « criticistes », qui aiment la critique surtout quand ils n’en sont pas l’objet. Il serait temps, croyons-nous, que les philosophes ne se montrassent pas irritables à l’égal de la gent des poètes. Ne ressemblons pas à ces personnes qu’on a électrisées dans un laboratoire de physique et dont on ne peut approcher même le petit bout du doigt sans en tirer des étincelles, — qui heureusement ne sont pas la foudre.