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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XV.djvu/358

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une aiguille d’horloge mue par des ressorts qui sont les désirs, tout autour d’un cadran lumineux dont les idées sont les heures. L’intelligence vous apprend simplement quelle heure marque votre volonté, ou, pour parler plus clairement, votre organisme : la conscience n’est que la mesure et le symbole des forces cérébrales.

La vérité est qu’il n’y a pas d’idées contemplatives, sinon les idées très abstraites et indifférentes, qui se réduisent elles-mêmes à des mots et à un psittacisme, quand on ne les remplit pas d’images concrètes et par cela même de sentiments. Tout motif pratique est en même temps un mobile, par cela même une tendance motrice, à laquelle répond une tension du cerveau.

II. — La liberté d’indifférence et le libre arbitre dans l’indéterminisme phénoméniste.

Pour échapper à ces inconvénients, l’éclectisme criticiste s’efforce de juxtaposer le phénoménisme de Hume, les lois à priori de Kant et le libre arbitre sans lois du spiritualisme. Dans la question qui nous occupe, il a proposé des arguments en partie empruntés à Descartes, en partie nouveaux[1].

La méthode du criticisme réduit aux phénomènes consiste, comme nous le verrons, soit à reporter la difficulté plus haut, soit à la répandre sur tous les points, soit enfin à la voiler par le moyen d’une fusion systématique entre les idées. Nous aurons à examiner si ce n’est pas là simplement déplacer ou déguiser l’indifférence en croyant la supprimer.

I. Cercle vicieux de l’indéterminisme phénoméniste. — Jules Lequier commence par déclarer qu’il rejette absolument la liberté d’indifférence. « Si la liberté des résolutions humaines est réelle, dit-il, la liberté s’applique au dernier jugement qui motive l’acte libre, et non pas seulement à l’acte proprement dit d’une volonté ; car il n’y a pas de volonté indifférente en matière d’actes réfléchis… Il faut que l’essence de la liberté remonte jusque-là[2]. » Ainsi, c’est bien en faisant remonter la difficulté que Lequier espère la résoudre. M. Renouvier, à son tour, admet que la volonté suit le dernier jugement, « que la

  1. Un des principaux mérites de M. Renouvier est le zèle et la force avec lesquels il a ainsi réuni tous les arguments possibles en faveur du libre arbitre, y compris ceux du très regrettable Jules Lequier. Pour les défendre, il a déployé toutes les ressources d’une polémique où la ténacité n’était pas facile à concilier toujours avec la justesse, ni même avec la justice, malgré le mot d’Horace : Justum ac tenacem propositi virum.
  2. Voy. Renouvier, Essais de critique générale, psychologie, t.  II, p. 411.